Très souvent on se pose la question : quelle taille de batterie pour mes servitudes ? Bien entendu il faut d’abord savoir quelle est la consommation journalière en ampère-heure (Ah). Ensuite il faut décider quelle taille de batterie on prend, compte tenu de ce besoin journalier. Souvent on entend un chiffre multiplicateur : une batterie deux ou trois fois plus importante que le besoin journalier. Est-ce vraiment cela qu’il faut ?
Bien entendu, cette question ne devient importante que pour des installations électriques assez conséquentes sur le bateau. Sur un Corsaire ayant un loch, un sondeur, un GPS, un plafonnier de 10watts, et une batterie qu’on ramène à la maison après chaque navigation, la question se pose en termes plus simples.
(voir également et aussi)
- La batterie testée
Qu’en est-il vraiment ? Une fois, deux fois, trois fois, quatre fois plus grande ? Pour le savoir je vous propose cette petite analyse simple d’un cas réel et mesuré « pour de vrai ».
Les mesures ont été faites sur des batteries 8PZS480, appellation normalisés construite par divers fabricants et disponibles partout. Ce sont des batteries de qualité , à plaques positives tubulaires, dont l’usage habituel est industriel pour la motorisations des engins de manutention électrique. Elles sont très robustes, peu coûteuses (Pour 6 éléments de 2 volts, j’ai payé en France en 2009 800€TTC pour 600Ah mesurés réellement à 10A de décharge, ou bien 480Ah à 100A de décharge) faites pour des usages sévères comparés à nos usages. Le figure ci-dessous montre leur durée de vie. La fin de vie est atteinte quand la capacité a perdu 20% de sa valeur initiale :
Même déchargées très brutalement en 5 heures (soit 20A de courant constant pour une batterie de 100Ah) on obtient les durées de vie suivantes :
- déchargées à 100% elles survivent à 700 cycles
- déchargées à 50% elles survivent à 1500 cycles
- déchargées à 25% elles survivent à plus de 2000 cycles
Ce sont des valeurs remarquables par rapport à ce qu’on trouve classiquement dans les bateaux, puisqu’on peut les décharger complètement à très fort courant en 1/2 heure comme le montre le graphique ci-dessous.
- Une mesure pratique de capacité de batterie
Examinons la figure suivante qui montre la tension de la batterie durant une décharge forte mesurée par le constructeur (en bleu : 10A de décharge pour 100Ah de batterie) et une décharge faible mesurée par moi-même (en rouge : 2A de décharge pour 100Ah de batterie).
Bien que la mesure ait été faite sur une batterie de 500Ah, la figure est montrée pour une batterie équivalent de 100Ah ce qui permet à chacun de faire une règle de trois pour avoir les valeurs pour une autre capacité. Par exemple, si on a 300Ah de batterie, il suffit de multiplier par 3 les Ah de l’axe horizontal du graphique et par 3 le débit (donc 30A à la place de 10A, et 6A à la place de 2A)
Le constructeur a totalement déchargé la batterie à 100%, avec un courant de 1/10 de la capacité totale, et la tension résiduelle pendant la décharge est alors de 10.2 volts seulement.
J’ai déchargé la batterie avec un courant de 2% de la capacité totale, et j’ai arrêté à 80% de décharge. La tension résiduelle pendant la décharge était alors de 11.6 volts
- Cette figure montre beaucoup de choses :
- La limite de tension basse
Supposons que nous ne voulions jamais descendre à une tension plus basse que 11.8 volts pendant la décharge. C’est le trait horizontal épais sur le dessin. Pourquoi 11.8 volts ? Parce que c’est une valeur acceptable pour la majorité des usages, groupe du frigo, instruments, éclairage, etc...
- La limite de tension basse
On constate alors que si on impose cette limite de 11.8 volts :
- Dans le cas du courant de décharge à 2% on dispose de 66% environ de la capacité, soit les 2/3.
- Dans le cas du courant de décharge à 10% on ne dispose que de 44% de la capacité de la batterie.
- Augmenter la taille de la batterie ?
Un cas concret : il me faut un courant moyen de 10A
Si ma batterie fait 100A. S’il me faut un courant moyen d’usage de 10A, alors ces 10A représentent 10% de la capacité de ma batterie de 100Ah qui fournira au mieux 44Ah soit 44% de sa capacité. On verra plus tard au §5 qu’au mouillage la batterie ne sera jamais chargée au delà de 80%. Donc la disponibilité réelle sera de 44%-20% = 24% soit 100Ah x 24% = 24 Ah seulement.
Si je remplace ma batterie de 100Ah par une 500Ah, ces 10A de décharge ne seront plus que 2% de la capacité, et donc 66% de la batterie sera disponible, soit 500x66% = 330Ah. Et avec une charge limitée à 80% au mouillage il restera 66%-20% = 46%, soit 500Ah x 46% = 230Ah.
Le point important est que en multipliant la capacité de ma batterie par 5 (de 100Ah à 500Ah) je multiplie la disponibilité par presque 10 ! (de 24Ah à 230Ah). Il apparaît donc que lorsqu’on augmente la taille de sa batterie l’augmentation réelle disponible est très supérieure à l’augmentation de la taille.
- L’argument « batteries à décharges profondes »
On entend parfois un argument fallacieux : « si je prends une batterie à ’décharge profonde’ de 100Ah c’est comme prendre une batterie normale de 200Ah que je ne dois décharger que de 50% au maximun »
On voit bien dans cette mesure réelle combien cet argument est faux ! L’essai décrit a été fait sur une batterie à décharge profonde qui tient effectivement le choc en décharge profonde. Mais dans notre usage domestique sur un bateau, la limite inférieure (11.8V) de tension acceptable fait que de toute façon seule une petite ou grosse moitié de la capacité (de 44% à 66% dans l’exemple) est utilisable pour garantir cette tension minimale de 11.8V.
En effet, à quoi nous servirait de passer la seconde moitié de notre temps d’usage à une tension de 10V à 11.5V, avec toutes les conséquences pénibles ? Lumières trop faibles, instruments instables, pompe à fort courant inopérantes, BLU ou VHF hors service, etc ...
- Le vieillissement
Un paramètre supplémentaire qui nous intéresse c’est le vieillissement. En pratique leur durée de vie en cyclage est très bonne comme on l’a vu plus haut. Mais pour nous, le vieillissement vient aussi du temps qui passe et pas uniquement du cyclage, et également du délaissement pendant plusieurs mois en hiver. En effet, 1500 à 2000 cycles disponibles, cela représente 150 à 200 cycles par an pendant 10 ans ... ce qui est énorme si on ne vit pas au mouillage toute l’année. On peut raisonnablement compter 5 à 10% de perte de capacité par an de vieillissement hors cyclage . Mes dernières batteries du même type industriel (mais à plaque planes) ont montré une capacité clairement diminuée après 7 ans, probablement qu’il restait la moitié de capacité.
- La charge complète de la batterie
La mesure de la densité de l’acide contenu dans la batterie permet de bien savoir jusqu’à quel point elle est réellement chargée. J’ai pu constater combien il est difficile et long d’atteindre la densité d’acide voulue (1280 g/l)pour les 100% de charge. Même après une longue séance de « bulk » à tension élevée on arrive plutôt à 90% seulement, et pour arriver à 100% il faut vraiment être patient.
En se référant au graphique ci-dessous donné par le constructeur, on peut se faire une idée plus précise du temps nécessaire. En pratique avec un chargeur réglé à 15.2 volts :
- Une batterie déchargée à 50% prendra 14-3 = 11 heures pour être chargée à 100% !
- Une batterie déchargée à 50% prendra 6-3 = 3 heures pour être chargée à 80%
- Pour passer de 80% de charge à 100% de charge il faudra 14-6 = 8 heures supplémentaires ...
Tout ceci à condition que le chargeur soit assez puissant (ici 25A pour une batterie de 100Ah). Il apparaît donc clairement qu’au mouillage on ira rarement au-delà de 80% de charge de la batterie, particulièrement si on charge avec un moteur, que ce soit celui de propulsion ou un groupe électrogène.
- Bonus : combien d’auto-décharge par mois pour la batterie ?
Une mesure de la décharge avec un courant de 10 A de la batterie testée (500 Ah) tout de suite après charge et la même mesure faite après avoir laissé la batterie au repos pendant 2 mois montre que celle laissée 2 mois au repos a perdu environ 55 Ah ou 0.14 volt. Donc on peut dire qu’elle a perdu grosso-modo 11% de sa charge en deux mois, soit environ 5% de perte par mois, ce qui est plutôt bien pour ce genre de batterie à plaques tubulaires positives de servitude.
- Bonus : Et le vieillissement mesuré ?
Cette même batterie a été testée 18 mois plus tard, bien chargée, mais non égalisée. Cela signifie que la batterie a été laissée en charge mais non utilisée durant quelques mois. L’acide n’a pas été remué suffisamment et sa densité est alors plus forte au fond qu’en surface. Lorsqu’elle est bien égalisée la densité est de 1290, alors que lorsqu’elle est stratifiée (non égalisée) la densité n’est que de 1260 en surface
On constate alors une chute importante de la tension durand la décharge, qui correspond à une perte de capacité apparente de l’ordre de 80Ah sur les 600Ah d’origine. Après une bonne égalisation (on fait bouillir la batterie durant plusieurs heures à 14.5-15 volts) l’acide est égalisé à la bonne densité et permet de retrouver le comportement initial.
On conçoit facilement l’intérêt d’avoir un densimètre banal à 10-15 euros pour surveiller la densité de l’acide dans la batterie.
- Conclusion : alors quelle taille de batterie ?
- Prenons un cas assez typique d’un bateau de 10-12 mètres, bien équipé en froid, en instruments et en confort. Fixons un peu arbitrairement sa consommation à 100Ah par jour. En moyenne cela donne 100/24 = environ 4A de courant moyen. En réalité, ce courant sera souvent presque nul le jour sauf quand le frigo ou une pompe se met en marche (5-6A), et de l’ordre de 10A dans les périodes de consommation maximale la nuit (frigo, pompes, éclairage le soir). Disons un peu arbitrairement 8A de courant moyen d’usage.
- On a vu dans la figure plus haut que si ce courant représente 2% de la capacité de la batterie, alors 66% de celle-ci est disponible. Mais comme la batterie ne sera le plus souvent chargé que à 80% au mouillage, seuls 66%-20% = 46% sera disponible au mouillage. Si 8A représente 2% de la capacité, cette capacité vaut donc 400Ah. Et sur ces 400Ah, 46% disponibles représentent environ 180Ah. On couvre bien le besoin.
- Mais 7 ans plus tard (dans mon cas d’un usage « plaisance » typique) le vieillissement (hors cyclage) de cette batterie aura probablement divisé sa capacité par deux .... et les 180Ah se réduiront à environ 100Ah .... c’est à dire tout juste la consommation estimé.
- Comme on a utilisé la batterie au pire à 60% de décharge le cyclage permet 1500 cycles en ne perdant que 20% de capacité. En 7 ans, cela représente 200 cycles par an ... ce qui est énorme sauf pour ceux qui habitent au mouillage sur leur bateau. Ce n’est donc pas le cyclage qui fatigue le plus le genre de batteries décrit ici.
En résumé :
- On voit donc qu’avec une batterie de très bonne qualité dont la taille est 4 fois la consommation journalière on sera dans une situation confortable d’usage pendant un très grand nombre d’années. Ce nombre d’années dépendra alors de la technologie et qualité initiales de la batterie, et beaucoup du soin qu’on aura apporté à entretenir la batterie. C’est à dire un bon chargeur, bien réglé, des charges patientes pour l’amener à 100% assez régulièrement (disons une fois par mois). Un ajout d’eau aussi souvent que nécessaire, et des cyclages restreint à 50-60% de décharge environ en dépit du fait que ce sont des batteries dites « à décharge profonde ».
- En réduisant la taille de la batterie à 3 fois la consommation journalière on fonctionnera confortablement quand elles sont neuves, mais le vieillissement inévitable réduira le nombre d’années durant lesquelles on sera satisfait des batteries.
- En dessous de 3 fois, la durée de satisfaction risque d’être fort courte.
Pour la petite histoire, le propriétaire précédent de mon bateau s’était plaint de la faible durée de vie des batteries à décharge profondes qui étaient installées en sortie d’usine. En vérifiant le chargeur au moment de l’achat du bateau, j’ai vu que tout était réglé à 13.2 volts (chargeur et alternateur). Evidemment, cela a « tué » les belles batteries en peu d’années.