Reportage sur la réfection d’un pont en teck
Notre bateau accuse aujourd’hui ses 23 ans. Doté d’un pont en teck, j’avoue que si c’était à refaire, je n’aurais pas acheté de bateau avec ce type de pont, l’entretien est assez (trop) important. Mais comme il en est doté, autant essayer de lui garder son éclat. Voici donc un reportage sur la réfection du pont en teck.
Un pont en teck posé à la mode des années 1990, il en faut beaucoup pour le tuer !
L’état des lieux
- 23 ans est un âge respectable pour un pont en teck qui a connu 3 propriétaires, des séjours aux Antilles, et pas d’entretien particulier pendant toutes ces années, sinon, depuis 10 ans que nous le possédons, d’éviter de le frotter trop vigoureusement afin d’essayer de le conserver.
Difficulté supplémentaire, il a été calfaté au silicone au lieu du sika, ce qui fait que les joints ne sont pas ponçables. De toutes façons, la perte d’épaisseur fait qu’un simple ponçage est illusoire, avec le peu de plan de joint restant.
La technique de pose utilisée à l’origine a été du « vissé collé », technique largement employée dans les années 1990, où l’on ne semblait pas avoir suffisamment confiance dans les colles pour leur adjoindre un vissage, ou bien trop pressé pour n’utiliser que la technique de collage par pression (ce qui me parait plus probable). Nous reviendrons plus loin sur cette technique de pose, que l’on peut considérer à la fois comme un inconvénient (infiltrations dues au vissage) mais aussi comme un avantage (colle utilisée à l’époque)
- Les symptômes d’usure sont assez classiques :
- Bref, l’état des lieu n’est pas formidable, et je suis resté pudique au niveau des photos (c’est mon bateau quand même !).
Mais le constat est là, un pont en teck usé, c’est encore plus moche que pas de pont en teck du tout !!
La décision
- Ca faisait un moment que ce problème me travaillait, mais j’avoue l’avoir relégué en bas de la liste des choses à traiter, le problème n’étant qu’esthétique, si ce n’est le risque d’infiltration potentiel dans le balsa au fur et à mesure que le temps avançait.
J’avais plus ou moins consulté des avis de « professionnels » dans le temps avant de quitter l’Europe. Leur solution était simple, il fallait tout arracher, et soit refaire un anti dérapant, soit reposer un nouveau pont, à base de composite (cher) ou de teck (tout aussi cher). L’opération était censée nous délester d’un somme d’argent, que dis-je, d’un capital, non négligeable.
« Mort » ! Qu’ils disaient !
Ben je n’en n’étais pas si sur qu’il était mort …
Avec un peu d’observation facile (que l’on peut voir sur les photos), on se rend vite compte que le pont a, certes, perdu de l’épaisseur. 3 mm, si l’on en juge par la hauteur des joints dans les endroits les plus usés. C’est aussi facile à mesurer dans les endroits où l’accastillage de pont est posé. Un des endroits les plus fiables, pour la mesure, sur notre bateau est le rail d’écoute de génois qui est posé directement sur le bois.
Bien, en ayant ces 3 mm d’usure, c’est bien beau, encore faut il savoir combien il reste en dessous. En essayant de faire des sondages, j’avais une vague idée. L’année dernière, ayant refait les vaigrages, j’ai été amené à déposer les cadènes de pont, traversantes, qui n’ont pas été déposées depuis la construction du bateau, donc j’ai pu mesurer l’épaisseur « d’origine » du bois..
12 mm ! A l’époque, le pont a été posé avec de l’épaisseur, et donc, considérant que les pont en teck aujourd’hui sont posés en 6 mm, il n’y a pas de raison que ce pont soit mort !
- Ne restait plus qu’à s’entendre sur le prix des travaux, réunir les fournitures nécessaires (trouver 65 cartouches de sika d’un coup est très difficile en Tunisie si on n’a pas réservé des mois à l’avance), se mettre d’accord sur les solutions techniques à apporter : le teck est très difficile à trouver en Tunisie, très cher, et le temps d’une importation possible mais trop long, nous avons convenu de remplacer les pièces trop usagées dans la mesure du possible par du teck de récupération dans les chantiers navals, sinon le cas échéant par de l’iroko (appelé aussi "teck d’Afrique), qui présente des caractéristiques semblables.
Et enfin, organiser la logistique : Mounir et son ouvrier, étant de Monastir et nous à Hammamet, seront hébergés sur notre bateau pendant la durée du chantier qui se fera à flot (en choisissant une période de l’année où il n’y a pas grand monde autour, la nuisance du chantier n’est pas moindre ….), tandis que des amis absents sur le ponton nous prêteront gracieusement leur bateau. Bitchak, merci encore mille fois, on aurait bien pu louer un appartement, mais c’était bien plus agréable de rester sur l’eau !
Le chantier, c’est parti !
- Note importante : l’article décrit les opérations dans l’ordre logique des travaux, cependant les photos montrent que cet ordre n’a pas forcément été respecté : contraintes météo qui obligent à traiter une opération plutôt qu’une autre, contraintes logistiques notamment dues à la disponibilité des produits (colle par exemple), contraintes d’organisation en fonction des ouvriers disponibles ou non, …….
- De bonne heure et de bonne humeur, on attaque !
- C’est quand Mounir a commencé à « sonner » les lattes du cockpit que les problèmes ont commencé ……
- Bien sur, il faudra préalablement au jointage, enduire le plan de joint d’apprêt (ou de primer) que l’on met avant (j’adore cette notion …..). Le primer se met délicatement au pinçeau dans le plan de joint, par portion au fur et à mesure qu’avance le jointage car il ne doit pas être trop sec (et coute très cher !)
- La controverse de la bande de fond de joint : Lors du calfatage du pont, certaines techniques préconisent de masquer le fond du joint par un adhésif (ou de la bande magnétique) afin que le calfat n’adhère que sur les coté du plan de joint et permette au bois de se dilater. Mounir est contre cette technique. J’étais dubitatif. J’ai vu un pont refait par Mounir auparavant, les joints tenaient très bien. J’ai eu l’occasion de voir un pont refait il y a 3 ans avec cette technique de masquage du fond de joint, les joints tenaient beaucoup moins bien. Alors ….. Bien sur, comparaison n’est pas raison. Mais j’ai décidé de m’en tenir à l’avis de Mounir.
- Le Grand Ponçage !
Et enfin arrive le grand jour, celui ou vous avez intérêt à être bien copain avec la marina, avec les bateaux environnants, et surtout où les bateaux attenants ont intérêt à être inoccupés ….
Là c’est violent …..
- A ce stade, cela commence à être un bonheur. C’est beau, et la sensation sous les pieds nus est carrément sensuelle.
- Il ne reste plus qu’à reposer les fargues de rail d’écoute ainsi que les mains courantes de pont, qui ont été réalisées en iroko. Là j’innove une technique qui laissera Mounir très dubitatif : le collage des bouchons à la néoprène au lieu de la résine. En effet, je veux me laisser la possibilité d’un démontage facile si je veux reprendre un jour ces pièces. Pas mal cette technique, un ponçage du bouchon avant que la néoprène ne soit sèche fait que la poussière va former une pate qui fera un bouchon presque parfait. A ne pas employer pour le bouchage du pont et du cockpit, mais pour les pièces rapportées, c’est excellent !
Et voici le résultat final, après traitement. C’est beau, c’est chaud, c’est doux, c’est chouette …… Dire que cet été on se brulera les pieds dessus …..
Notez la pièce en iroko de la baille à mouillage, pas mal du tout …….
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Voilà, maintenant si on fait gaffe, c’est reparti pour 15 ou 20 ans ……..
- Quelques chiffres et notions
65 cartouches de Sika, 15 bouteilles d’apprêt, 15 cartouches de colle Sika, 400 vis à retirer et autant de bouchons à poser, une bonne cinquantaine de disques de ponçage en 40 et 80, une bonne vingtaine de rouleaux de scotch de masquage, de la résine et du durcisseur, du gel coat et des cotons tiges, du polish et de la ouate, ….
Du coton pour se mettre dans le nez, des pansements, des mains abimées, des genoux et des dos qui font mal, …….
5 semaines de chantier. - Le nerf de la guerre, le coût :
il est évident qu’un tel chantier en Europe aurait eu un tel coût que nous aurions peut être laisser mourir le pont puis l’arracher afin de réaliser une peinture anti dérapant. Mais nous sommes en Tunisie ….
Mounir m’a demandé environ 2500 euros pour ce travail incluant le recollage du cockpit, de la jupe, et les travaux de gel coat. Sachant que presque la moitié de ce budget représente la fourniture (produits, ce n’est pas donné une cartouche de Sika, et encore c’est un peu moins cher en Tunisie), et considérant le matériel nécessaire (outillage portatif) à ce travail, il est clair que ce n’est pas la peine de s’embêter à faire soit même ce chantier. Mieux vaut prendre un professionnel, et participer pour apprendre. Sans compter les moments d’échange philosophique qui font partie de l’expérience de la vie …..
S’il vous venait l’envie de faire un crochet par la Tunisie pour ce genre de travaux, n’hésitez pas à appeler Mounir (+216 92816250, mehdouimounir@hotmail.fr), vous ne le regretterez pas …….