Guilty or not guilty
Guilty... c’est le nom donné à son bateau de 35 mètres par le richissime collectionneur d’art Dakis Joannou. Conçu par la designer Ivana Porfiri, et décoré par Jeff Koons, il se remarque, c’est le moins que l’on puisse dire. On le rencontre régulièrement à Riposto
Alors coupable (guilty) ou non coupable (not guilty) Not guilty que l’on peut aussi traduire par « acquittement »... On plaidera la provocation artistique bénigne... On n’en est pas à “l’origine du monde...”
- Pour le magazine Forbes “voir note” [1] Dakis Joannou’s Mega Yacht ’Guilty’ By Jeff Koons And Ivana Porfiri, An Act Of Calculated Irreverence
- Il y a toujours eu des accusations d’excès dans le monde de l’art, et Dakis Joannou a une réponse simple : Coupable.
Mais, circonstances atténuantes : les motifs géométriques audacieux de Guilty, alternant losanges jaunes, triangles roses et polygones bleus, ont été inspirés par le camouflage naval britannique de la Première Guerre mondiale.
Pour l’industriel gréco-chypriote de 72 ans, le super-yacht est une œuvre d’art flottante. Nous avons conçu un bateau dans une méthode anti-style, nous n’avons pas de règles, pas de programmes, pas de plans. Porfiri a travaillé avec lui pour mettre en place toutes les fonctionnalités avant de passer au design kaléidoscopique de Koons. - On s’est appuyé sur la technique du “Razzle Dazzle”, technique utilisée pendant la Première Guerre mondiale comme camouflage non pas pour cacher un objet mais pour confondre le spectateur , explique Jeff Koons.
- Il y a toujours eu des accusations d’excès dans le monde de l’art, et Dakis Joannou a une réponse simple : Coupable.
De l’art du camouflage
Les camouflages délirants qui embrouillèrent les sous-marins allemands
Source : voir “Note” [2]
Durant la Première guerre mondiale, on doit la technique à l’imagination d’un artiste britannique, Norman Wilkinson. Les tableaux de John Everett “voir note” : [3] en témoignent L’objectif de ce camouflage n’est pas de dissimuler le navire, mais d’empêcher l’adversaire d’identifier avec précision le type de navire, ses dimensions, sa vitesse et son cap. Son efficacité repose sur l’illusion d’optique créée par des motifs entrecroisés, qui perturbent la vision d’un observateur utilisant un télémètre mécanique (outil utilisé par l’artillerie navale pour évaluer la distance de tir). En pratique, un observateur serait incapable de déterminer s’il voit la proue ou la poupe, et il lui serait tout autant difficile de dire si le navire se rapproche ou s’éloigne.
En 1918, John Everett, peintre de marines, reçoit du ministère de l’Information britannique l’autorisation spéciale de représenter des scènes fluviales à Londres. Everett tombe alors sous le charme du camouflage disruptif de certains navires et décide de les peindre.
Le camouflage disruptif
Le camouflage disruptif (on parle aussi de camouflage Dazzle voir “Note” [4]
qui décorait les navires de bandes zigzagantes aléatoires était dû à l’imagination d’un artiste britannique du nom de Norman Wilkinson voir “Note” [5] , qui en avait eu l’idée pour tenter de protéger les navires des attaques des sous-marins allemands, qui coulaient alors de trop nombreux navires britanniques. Cette stratégie donna naissance à des œuvres s’apparentant à l’école cubiste ou vorticiste. (On peut trouver une belle collection de photographies de ces navires sur io9. “voir Note” [6])
Comment est née cette étrange idée et surtout, comment fonctionna-t-elle ? le blog Camoupedia a mis en ligne le texte d’un article consacré au camouflage disruptif et à l’œuvre de John Everett voir note [7] , publié en 1919 dans le magazine britannique Land & Water. Son auteur, Haldane Macfall, officier, mais aussi critique d’art et écrivain, donne de nombreux contre-exemples d’objets d’une couleur uniforme et qui ont, de tous temps, fait d’excellentes cibles sur le champ de bataille.
« On pourrait presque présenter ce fait comme une loi du genre, écrit Macfall. La couleur unie est ce qui se rapproche le plus de la cible parfaite par excellence : la silhouette sombre. Comme un sous-officier d’infanterie du XVIIIe siècle aurait pu le dire : la cible uniforme est l’ami du tireur. »
Macfall cite également Jan Gordon, lieutenant de la Royal Navy, qui avait collaboré avec Wilkinson au développement de cette stratégie du camouflage. Gordon explique ainsi que « le camouflage disruptif atteint son objectif non en se rendant invisible au sous-marinier, mais en brouillant son jugement ».
Les images d’Everett, qui dépeignent les navires dans leur contexte, montrent comment le camouflage fonctionne. Les navires sont difficiles à regarder et semblent se fondre dans le cadre, malgré leurs peintures criardes.
Surtout, en peignant ce genre de camouflage sur un navire, on obtient deux effets visuels : le premier est qu’il devient très difficile d’identifier le navire car on peine à faire la différence entre la coque et les superstructures, une technique que l’on connaissait dès les guerres napoléoniennes, certains navires à deux ou trois ponts ayant le pont supérieur peint en noir de manière à ce que, de loin, ils paraissent avoir un pont de moins (les coques des navires étaient généralement de couleur ocre). Le second est qu’en brisant les formes du navires par des bandes anarchiquement disposées, il devient également très difficile d’estimer son cap, ce qui rend le pointage particulièrement ardu, un sous-marin devant estimer le cap et la vitesse de déplacement d’un navire pour pointer ses torpilles de manière efficace.
Si l’Amirauté britannique affirma que le camouflage disruptif fut efficace, David L. Williams écrit dans son histoire du camouflage naval durant les deux conflits mondiaux que cette efficacité fut malgré tout subjective, car elle ne fut employée qu’à petite échelle “voir note” [8].
Au cours de la Seconde Guerre mondiale, la technique fut modifiée avant d’être abandonnée, les systèmes de pointages s’étant améliorés et la menace venant désormais, principalement, des airs.
De l’art de se montrer
Le camouflage disruptif peut également être rencontré dans le civil, à des fins artistiques. Des navires privés ont été peints en camouflage disruptif dans un but purement esthétique. Notamment les navires de la Sea Shepherd Conservation Society (SSCS) le Steve Irwin et le Bob Barker en bleu, gris et noir ainsi que le Sam Simon en blanc, gris et noir, navire utilisé dans le combat contre la chasse à la baleine, repeint en camouflage disruptif en 2011. Sur la photo de droite, Sam Simon, tournant le dos à la fontaine d’Arethuse, celle de Syracuse “voir note” [9]
In fine, Guilty, Sam Simon et Steve Irwin se mettent dans la lumière, en totale contradiction avec les règles du camouflage...
Michel à Riposto