Entretien avec Eric du voilier Tonga
PTP : Bonjour Eric, parle-nous d’abord de l’homme et de la monture :
Eric : Ma première expérience de la navigation hauturière, c’était en 1986, une traversée de quatre mois du Pacifique, en partant de l’Australie sur une coque acier exotique de 14,50m. Ce fut une navigation riche en expérience si l’on considère que l’expérience est l’accumulation d’erreurs... Mais j’en garde un bon souvenir !
Puis en juin 1995, j’ai acheté le Petit Prince et nous avons bourlingué en famille jusqu’en septembre 1999 de la France aux Antilles, puis aux Etats Unis.
En 1999 j’ai désarmé le bateau dans la Chesapeak Bay aux US.
Je suis retourné le chercher en mai 2001 pour le convoyer, directement des US vers Marseilles via les Açores.
C’était un Petit Prince en acier version ketch construit en 1983. C’était un bateau robuste conçu pour les navigations hauturières avec une timonerie intérieure.
- Caractéristiques : Architecte Subrero, chantier : JAI (13).
- Longueur : 12,5m
- Plan numéro 562
- Quillard, tirant d’eau 1m80
- Maitre bau : 3.95m.
PTP : Pourquoi as-tu souhaité le transformer pour en faire un cotre ?
Eric : Durant notre voyage, j’alternais souvent navigations avec et sans l’artimon. J’avais constaté qu’au largue par temps médium, le bateau était effectivement plus performant avec l’artimon. Mais pour toutes les autres allures et autres conditions je marchais aussi bien sans l’artimon et l’équilibre était maintenu. J’avais un régulateur d’allures Aries à l’époque, il fallait donc être exigeant sur l’équilibre global. En version ketch, au près , ce n’était vraiment pas terrible. Et puis, j’étais convaincu que l’on pouvait améliorer le potentiel du bateau en le gréant en cotre. A l’époque nous étions en pleine transition du ketch vers le cotre...
PTP : Quelles sont les autres modifications que tu as apportées ?
Eric : En 1998, je vends l’artimon en République Dominicaine en continuant à naviguer avec le gand mât et la bome d’origine. Je dispose alors de bien plus de place sur le pont arrière et dans le cockpit central. En 2001, je supprime tout l’équipement secteur drosses des deux barres à roue (extérieure et intérieure) et je passe à la barre franche. J’avais repéré une faiblesse sur le secteur et j’ai préféré partir sur une base saine pour la Transat retour. En 2002, après notre retour en France, je rallonge la bôme de 1,50m mais je garde la même gand-voile. Pour permettre le passage de la bome, je soude les cadènes de pataras sur la poupe. En 2003, j’installe un grand voile full batten avec quatre lattes forcées et fort rond de chute.
PTP : Est-ce que tu constates un changement à ce moment-là ?
Eric : Ma vitesse et mon cap s’en trouvent un peu améliorés. Au près par petit temps, je décolle un peu plus tôt. Mais ma GV est trop creuse, avec un creux trop sur l’arrière. Je ne suis pas complètement satisfait bien que le bateau soit plus performant sous toutes les allures. Je déplace également la cadène de trinquette que j’amène 40 cm plus en avant en prévision du projet futur.
PTP : Les modifications radicales sont toute récentes alors ?
Eric : Oui, en 2011, je change le mât, la bome, tout le gréement, et toutes les voiles. Le nouveau mât Francespar passe de 13,50m à 16m. Je passe par un voilier professionnel de renom (RUSSO) qui me fournit une GV full batten cinq lattes, une nouvelle trinquette, un nouveau génois à moindre recouvrement (110 au lieu de 130) et un code zéro pour le petit temps.
PTP : Et depuis, as-tu constaté des différences de comportement avec cette nouvelle configuration ?
Eric : Oui, ce n’est plus le même bateau, le près est nettement amélioré, je navigue à 45° du vent apparent, ce qui est bien pour ce type de bateau. J’ai gagné en vitesse et en puissance à toutes les allures. Le bateau est beaucoup plus vivant avec la barre franche. Je redécouvre le plaisir de barrer, surtout par petit temps et temps médium. D’ailleurs, je n’aurais pas cru que j’aurais autant de plaisir à barrer un bateau aussi lourd . Il faut dire que je l’ai allégé au maximum (Il fait encore entre 11 et 12 tonnes). Au près par mer belle et 12 Knts de vents je marche à 6 Knts, auparavant, c’était plutôt 4 Knts. Par petit temps au largue avec le code zéro, c’est un régal.
PTP : Mais comment as-tu géré la nouvelle emplanture du mât et les nouveaux emplacements de cadènes ?
Eric : J’ai gardé la même emplanture et les mêmes cadènes. Le mât est 50cm plus en avant que sur le Petit Prince que Subrero a sorti par la suite en version cotre. Je n’ai pas vu de problème, j’ai un bateau bien équilibré, cela tient aussi à la coupe des voiles. J’ai constaté que sur ce type de bateau à déplacement lourd, à quille large mais pas longue, ces 50 cm ne sont pas un problème.
PTP : Quid du comportement du bateau dans le mauvais temps ?
Eric : Je n’ai encore eu l’occasion de le tester dans cette situation, seulement par 35 Knts avec deux ris. J’ai réduit un peu tard, la barre est devenue dure, mais pas plus que quinze ans plus tôt... Il est clair que la différence entre les version ketch, et cotre avec un mât plus grand et GV arisée, se réduit dans la piaule.
PTP : Es-tu passé par un architecte pour te guider dans ces transformations ?
Eric : Non, si le mât peut rester à la même emplanture, cela ne me paraît pas indispensable. Si tu dois le déplacer de plus de 50cm, je dirais que là, il faut bien réfléchir...
PTP : Penses-tu que ta démarche soit applicable à d’autres bateaux ? Beaucoup se posent la question pour les Gin Fizz par exemple...
Eric : Bien sur, mais il faut bien mesurer l’écart entre les emplantures des versions ketch et cotre. S’il y a moins de 50 cm il n’y a pas de souci à mon avis... je pense qu’il faut garder le caractère cotre sur ce type de bateau. C’est en tous les cas l’avis du maître voilier et ne pas aller vers la version sloop. Je serais intéressé de connaître l’avis de ceux qui sont allés vers cette option.
PTP : Parlons gros sous, peux-tu nous dire à combien t’es revenue cette transformation ?
Eric : Oui, mât, bome, hale-bas rigide, GV, trinquette, génois, haubanage, drisses, écoutes : 38 000 Euros. J’ai équipé moi-même le nouveau mât, changé l’emplacement des winch et des taquets.
PTP : Alors, Eric, le bilan de l’opération ?
Eric : Ecoute, je suis très attaché à ce bateau parce que j’ai une totale confiance en lui. Lors de notre premier voyage, je me suis « planté » à 6Knts, la quille contre un bloc de béton de chenal aux USA. Le bateau s’est arrêté comme si j’étais rentré dans un mur. Rien, pas le moindre dégât, le voyage a continué. Je suis convaincu que n’importe quel bateau de série aurait subi de graves avaries dans les mêmes conditions.
Le voilier est dans un bien meilleur état qu’il n’était il y a 17 ans. Il marche beaucoup mieux jusqu’à 15Knts de vent. Le gréement est assuré pour dix, ça me fait oublier l’addition... L’ancien gréement était d’origine, il avait donc près de 28 ans et j’aurais pu continuer à naviguer avec, mais bon, on pense bien repartir...
C’est sûr que Tonga demande beaucoup d’attention et de temps, acier oblige... Mais il était aussi beaucoup moins cher à volume équivalent lorsque je l’ai acheté. Si c’était à refaire, je referais pareil, mais je regarderais attentivement le prix du marché qui semble un peu dingue aujourd’hui...
PTP : Merci Eric d’avoir bien voulu partager ton expérience. (Propos recueilli par Sergio) |