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Accueil du site > Littérature maritime > Les Beligoudins - aventures du capitaine Kerdubon > L’envolée belle

Rubrique : Les Beligoudins - aventures du capitaine Kerdubon

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L’envolée belleVersion imprimable de cet article Version imprimable

Publié Avril 2019, (màj Mai 2019) par : Collectif Salacia   

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Mots-clés secondaires: organisation_voyage , navigation_divers , Traditions_cultures

NDLR : merci à “Kerdubon” capitaine, marin, conteur et explorateur...

Vers la table des chapitres

L’envolée belle


Pour la dixième fois, béat et heureux, (ce qui va de paire) j’ai relu mon téléx :
J’ai envoyé mon chien convoquer immédiatement le chef mécanicien et mon second. La bête super intelligente comme tout chien lorsqu’on sait le dresser, partit la queue frétillante, aboya d’un ton sans réplique à la porte des intéressés qui comprirent que le « vieux » les demandait d’urgence, le champagne était déjà prêt à être ouvert, manifestement on ne pouvait le faire attendre plus longtemps.

  • Messieurs, mon enfant est né !... Ce n’est pas une fille..goélette, mais un garçon...ketch ! Ils levèrent le coude et selon le rite des nautes antiques, rendu à nouveau obligatoire par leur captain : ils firent un signe de croix horizontal avec leurs verres remplis en disant :
  • Au Nord, au Sud, à l’Est et à l’Ouest… amen… amène amène… droit dans l’archipompe ! Après quoi en silence, ils sifflèrent leur premier godet sans respirer, tandis que le clébard avala sans le mâcher le biscuit auquel il avait droit.
    Il faut dire qu’à cette époque, sur ce navire Marocain en pays Musulman évolué on ne craignait pas de dire : « je ne suis pas croyant », l’intégrisme pratiquement inexistant n’obligeait pas les incroyants à se cacher pour boire en bonne société, alors que tout le monde sait les bienfaits d’une coupe de champagne bue… en bonne compagnie.
  • Nom d’une pipe, çà y est !... Je file à Malte, le temps de prévenir mon remplaçant !
 
*

On se retrouva madame Kerdubon et moi dans notre cagna de La Rochelle. Elle arrivait de Malte avec une longue liste de matériel à acquérir, car dès le 3ème tiers versé par l’avocat après contrôle du Véritas, les frères avaient déshabillé le voilier et sur l’île Méditerranéenne, les shipchandlers qui importaient d’Europe le matériel nautique, s’engraissaient avec les pigeons ayant besoin d’une manille ou d’un ridoir... il valait mieux les shunter.
Un copain Sicilien d’origine, aux pratiques douteuses et aux revenus incertains, mais très amical, nous prêta une superbe DS 19 pour y enfourner notre bataclan afin de regréer le voilier. Tout était nécessaire depuis l’assiette en pyrex en passant par la cocotte minute pour arriver au matériel de gréement proprement dit, non sans oublier le poste radio et autres bricoles indispensables. Il fallut une vingtaine de cartons empilés dans le coffre et sur le siège arrière de la souperbe vettura ... On n’arme pas un navire sans couvertures ni biscuits !
Certes, la DS roulait bien mais consommait beaucoup d’essence et d’huile… Bah ! Certes, la vitre arrière côté droit était remplacée par un contreplaqué, mais vu la clientèle occupant les sièges arrières… Cela pouvait passer ! A Nice, une durite du circuit d’huile de transmission péta. Le garage Citroën fut bien embarrassé.

  • Ce qui reste de looked est rouge, et normalement au vu de la carte grise donnant la date de la voiture, il devrait être vert !... Cela pourrait être une erreur, mais le numéro du moteur ne correspond pas non plus au numéro indiqué sur la même carte grise !... Finalement, aux limites de la Mocoasie (Capitale Marseille), tout s’arrange si l’on est pas trop regardant sur le montant du « pour boire », comme on appelle pudiquement un bakchich…après tout se disait-on dans cette cité au carnaval fleuri comme le langage, la suite héréditaire de nos maires, pas plus médecins que vous et moi, ne s’est pas enrichie avec ses salaires…alors nous autres simples citoyens !... Et roule ma poule !

Sachant par expérience que midi est une heure apéritive sacrée, la frontière fut en vue à cette heure-là. Effectivement il n’y avait qu’un seul gabelou Italien qui ne daigna même pas jeter un œil à travers la vitre… en bois. La surprise vint au péage de l’autoroute lorsqu’on me rendit la monnaie... c’était… des bonbons ! J’ai regardé d’une façon interrogative le gars dans sa cabine, sourcils et moustaches relevées.

  • Ma qué miséria… plou d’argenté dans les caisse de la directionné !…
    • Pitête bien Macaroni… Mais c’est le prix pour un camion que t’as compté !
  • Ma ecco… tou est chargé comme oune camionnné !... Et roule ma poule !

En plein cœur de Rome, on arriva en soirée, à l’heure de la débauche, parmi une circulation démente et klaxonnante. Tout allait bien, l’hôtel où nous avions réservé n’était plus très loin dans une rue du quartier. Hélas, dans une fausse manœuvre des vitesses, le commandant que j’étais ne commanda plus rien, car la “vettura” cala. Le bouton bricolé qui servait de démarreur, ne démarrait plus rien du tout. Le concert derrière nous devint insupportable. Nous étions justes devant l’entrée d’une grande banque.
Les carabiniers de garde nous mirent en joue avec leurs seringues et s’approchèrent avec les précautions requises lors d’un combat de rue. Voyant l’innocence de ceux qu’ils avaient pris pour des « holdopeurs  » et que nous n’avions pas la cagoule réglementaire pour ce genre de chose, ils ne furent pas long à comprendre mes gestes de sémaphoriste. Avec d’autres passants ils poussèrent la superbe DS jusque dans une rue proche où un garagiste semblait nous attendre, en tenant une clef à mollette d’une main et se cirant les moustaches au cambouis de l’autre.
Le capot levé, il arriva aux fils du tableau de bord et rebrancha le bouton fautif en commentant pour la galerie admirative envers l’efficacité de ce « dottoré es mécanica » :

  • Leur Naiman a été cassé… le bouton de remplacement du démarreur a été mal installé… tutti va béné, finita la coumédia… et il tendit la main pour empocher 100.000 lires, un gros chiffre ne valant finalement pas grand-chose.
    • Gracié tuti la compania, la Policia, et le Garagista !... Et roule ma poule !

En Calabre, c’était le désert caillouteux, rien à l’horizon ni aux environs de l’auto pista. Le soleil à sa méridienne écrasait et faisait fondre en partie le bitume.
Soudain, un point apparut et grossit à l’horizon. En approchant, on vit un chien qui venait droit devant. Notre solitude sur la route déserte, nous permettait de rouler à plus de 140, pied au plancher, le maximum de ce que pouvait donner la berline surchargée.

  • Si je freine, la DS va piquer du nez, et avec son étrave adéquate, je vais cueillir le bestiau en plein dans le pare brise !..

J’ai levé le pied et le carrosse ralentit. On arriva à la bête abandonnée par des salopards. Elle était heureuse de rencontrer des humains et ne se sentant plus de joie, frétillait de la queue. Elle persistait à rester devant le milieu du capot… J’ai accéléré d’un coup. Le nez de l’auto s’est cabré en l’air et l’animal passa… dessous la carrosserie. Il fallut ensuite au moins deux cent mètres pour stopper, puis sortir afin de retirer de la route le cadavre probable et ainsi éviter qu’un autre automobiliste ne se le paye.
Des clous ! L’increvable chien arrivait en frétillant de joie, pensez, il imaginait qu’il allait enfin retrouver un papa et même son canigou habituel ! Il était scalpé et sanguinolent du sommet du crâne à la racine de la queue. Heureusement pour lui qu’il avait naturellement les oreilles tombantes, car en plus, il aurait été maintenant complètement sourd !

  • Palsambleu !… je l’ai saisi d’une main par les pattes avant, et de l’autre par les pattes arrière, j’ai grimpé sur un tas de pierres le long de la palissade grillagée, et l’ai balancé hors de l’autoroute. La bête fut très déçue mais n’alla pas se plaindre à la SPA !… Et roule ma poule !

Arrivés à Syracuse, on apprit qu’à cause de la tempête, le ferry pour Malte aurait deux jours de retard ! Voilà qui n’arrangeait pas nos affaires. On trouva un hôtel non loin du port et je me suis garé juste devant sa porte.
Tandis que je négociais une chambre, madame Kerdubon entourée d’une marmaille piaillant, surveillée de loin par d’impressionnantes mamas mafflues, ne trouva rien de mieux pour s’en débarrasser que de leur acheter à chacun une glace à l’échoppe d’un marchand de gelati ravi de l’aubaine. Tout son porte-monnaie y passa certes… mais ensuite ce fut le silence… le temps qu’ils lapent leur iceberg.

  • La difficulté à été d’obtenir une chambre donnant sur la rue, juste au-dessus de la bagnole !... J’y tenais, car n’avons pas de clefs pour les portières du carrosse, et je n’ai pas l’intention de débarquer les 20 colis ! Il paraît qu’ici, m’a dit le taulier, si t’abandonnes cinq minutes ta voiture… il te manque les roues à ton retour… si tu l’abandonnes une nuit, ils te piquent carrément le moteur !
    • Normal que le copain ait oublié de te les remettre ces clefs… Yen a pas besoin puisqu’il n’y a plus de Naiman !... Et puis d’ailleurs quand tu voles une bagnole, c’est rare que tu voles les clefs avec !
  • Quoi ?... Une voiture volée ?... Non, il n’aurait pas fait çà ! Prêter une voiture volée, çà ne se fait pas entre potes !
    • Et tu comptes veiller toute la nuit de ta fenêtre ?.. demanda-t-elle, tandis que devant les gamins admiratifs, avec une clef ordinaire de valise, je faisais une simulation de fermeture des portières et du coffre, poussant le vice jusqu’à vérifier une seconde fois que c’était bien fermé.
  • Tiens voici quelques lires, paye leur donc une autre glace aux bambinos… ils feront d’excellents gardiens !

Fatigués par la longue route, abrutis par un lourd repas huileux fortement arrosé d’un vin excellent… on dormit comme des loirs et… on retrouva la voiture intacte le lendemain matin. Les gosses bien sûr eurent droit à une autre glace sous les regards moins méfiants des matrones, qui devaient penser que ces gentleyachtmen avaient… du savoir vivre… Et roule ma poule !

En fait, mon sommeil avait été agité. Je me voyais en train de m’expliquer avec les gabelous maltais, tatillons, xénophobes et chauvins. Ceux-ci, je le savais bien, relevaient tous les numéros possibles, les comparaient aux papiers, carte grise assurance et permis de conduire… sans parler du passeport. Ils notaient toutes les bosses et caractéristiques des bagnoles et peut-être même les empreintes digitales, ceci de façon a éviter que le véhicule soit irrégulièrement vendu sans payer les énormes taxes d’importation… Comment leur dire que si la voiture… qui n’était pas à mon nom, les papiers en faisaient foi, que si la carte grise et le moteur n’avaient pas les mêmes numéros… et quoi d’autre ?... que c’était de la faute à pas de chance… j’étais mal barré !
Disposant encore d’une journée d’attente, on partit en balade dans le Sud de l’île vers des endroits sauvages et beaux, nous arrêtant vers midi dans un petit port de pêche.
A l’extrémité de la jetée, un gars avait disposé ses cannes à pêche et se roulait une cigarette en nous regardant approcher.

  • Je vous ai reconnus, vous êtes Français !... J’ai bossé quinze ans dans une usine du côté de Lyon, je suis venu passer ma retraite dans mon bled !... Bienvenue !... nous dit-il en repoussant son panama vers l’arrière du crâne.
    On sympathisa. Il fallut visiter toute sa famille, boire des petits coups d’excellent vin par-ci par là et de plus en plus euphorique, j’ai parlé de mon problème.
  • Ma qué problème ?... Je vous la garde votre bagnole, vous viendrez la récupérer plus tard ! Si vous naviguez vers la Grèce, il vous sera plus facile de venir par train en Sicile qu’à Malte avant de rentrer en France !... Je vous attendrai à la gare de Syracuse !... Et roule ma poule !

C’est ce qu’on fit. Lorsqu’on revinrent ultérieurement, le gars bien sympathique nous invita à un baptême. En compagnie d’un copain guitariste, il devait assurer la partie musicale avec son banjo. Ils jouèrent et chantèrent les vieilles canzonettas, reprises en chœur par l’assistance réjouie de l’ambiance pendant la présentation du nouveau né entouré des parents, et grands-parents.
Un peu en retrait, mais juste derrière la sainte famille, présidait sur une sur une sorte d’estrade, bien assis dans un fauteuil, le vénérable Parrain… certainement véritable « parrain » dans son secteur, aux baccantes impressionnantes, au regard d’aigle, aux lèvres serrées, bouche cousue, mince comme une lame de couteau Sicilien. Chacun l’un après l’autre passa lentement en félicitant les heureux parents, sans omettre de glisser une enveloppe plus ou moins chargée selon sa richesse, dans la corbeille prévue à cet effet, puis baiser la main du « parrain ». Le repas qui suivit fut somptueux. Entre autres plats, on découvrit des abats de poulets mijotés à l’ail vert, un véritable régal. La fête finie, nos amis voulurent nous acheter la souperbe déesse astiquée comme neuve… mais la DS appartenant à un copain, je me devais de la ramener à son propriétaire sympathique prêteur.
De retour au bercail, ce copain nous affirma que la voiture n’était pas le fruit d’un vol, ni d’un magouillage quelconque, même s’il n’avait pas déclaré le changement de moteur aux mines. Lorsqu’il apprit que des Siciliens voulaient l’acheter et que j’avais refusé… il s’écria : Mamma mia quels cons ! mais quels cons !... On ne le revit jamais !... Et roule ma poule !
En attendant ce futur signifiant la fin des congés, continuons le périple aventureux vers Malte.


*

La voiture ne pouvant venir au pied de la coupée du ferry enfin accosté pour une petite heure en fin de soirée, il restait un long parcours à faire avec les 20 colis lourds. Deux par deux, on les achemina à bord et le Captain qui s’impatientait avait déjà ordonné de remonter la coupée, juste avant qu’on n’arrive avec les derniers cartons… alors les matelots nous aidèrent puis le ferry appareilla… Et vogue la galère !
Les coffres a bagages du ferry, avec leurs portes coulissantes, étaient vastes et vides, car les passagers préféraient dormir avec leurs bagages à portée de main et à vue d’œil. On en fit deux lits clos superbes, les cabines affichant complet.
Le navire accosté dans le port de La Valette, les passagers nombreux se précipitèrent avec valises et colis pour débarquer le plus rapidement possible. Là encore, si les matelots sympathiques nous aidèrent à descendre les cartons sur le quai, il nous restait un long parcours avant d’arriver au poste des douanes pour sortir du port.
A la douane, chaque valise était ouverte, chaque colis était déficelé et fouillé. La queue des débarquants s’y écoulait avec lenteur, les amendes et confiscations pleuvaient.
On reprit notre manège, déposant les colis deux par deux aux pieds du dernier passager arrivé avant nous pour faire la queue. Ce dernier passager avait déjà été contrôlé et avait disparu, lorsqu’on arriva enfin en portant précieusement nos derniers cartons.
Au fur et à mesure que la file d’attente s’était dégraissée, les gabelous étaient partis vers d’autres occupations plus sérieuses, puisqu’il était midi pétantes. Il n’en restait plus qu’un. Le pauvre type se croyait enfin libéré après avoir fouillé une centaine de colis et valises, lorsqu’il vit la montagne de cartons que j’avais élevée non loin de son comptoir. Il leva les yeux au ciel implorant la Sainte Vierge et tous les Saints du Paradis. Il fut écouté, car en se retournant à droite puis à gauche, il n’aperçut aucun chef, même pas un modeste collègue. Il sourit de satisfaction, s’épongea le front avec un mouchoir douteux et nous fit signe de vite, très vite, rapido presto !... de dégager le terrain. La camionnette du chantier attendait sagement. J’y engouffrai les cartons, tandis que Madame Kerdubon décrochait un sourire au Douanier ébloui.
  • Avez-vous du feu !... minauda-t-elle en lui offrant un affreux tortillano noir comme du goudron… qu’il refusa poliment, seulement ravi qu’une passagère, de surcroît étrangère lui ait fait un aussi joli sourire ! Bien que parlant uniquement le Maltais, le galant gabelou, sortit un zippo à essence… il l’avait jadis confisqué à un matelot Américain sans doute contrebandier… comme tous les marins !... La fumée du cigarillo qu’elle alluma à la flamme fuligineuse, empuantit le poste pour le restant de la journée, peut-être même pour plusieurs semaines !... Et vogue la galère.

Le « Béligou » enfin achevé et bien gréé, les essais débutèrent. Le vent était assez fort sur une mer plate dans la baie, les Béligoudins et leurs passagers posèrent pour la photo avec l’air déterminé de ceux qui vont affronter le Horn. Toutes voiles déployées, l’étrave fendait les eaux bleues en faisant retomber deux belles gerbes d’écume. On aurait dit que l’oiseau de légende allait monter aux nues… en tous cas il s’était bien envolé du chantier !


Au quai de la cale où il revint accoster et s’amarrer dans le port de Marsaxxlokk, les gamins durent retirer leurs chèvres qu’ils baignaient et faisaient nager… peut-être que c’est leur lait qui donne du… beurre salé ! Plus loin, c’étaient des chevaux de course que les lads baignaient et étrillaient pour les fortifier. Les Maltais sont friands de courses de chevaux, tout le monde le sait, chaque Dimanche elles ont lieu, et les paris vont bon train… d’où une foule assez nombreuses présente pour assister non pas à l’arrivée de notre coursier des mers… mais à la baignade des magnifiques cavales, préparant ainsi leurs paris, tandis qu’une fanfare d’allure militaire passa en s’époumonant dans ses cuivres…

Ce n’était pas non plus pour saluer notre oiseau de légende comme on aurait pu le penser

Je m’étais aperçu lorsqu’il fallut mettre du diesel dans le réservoir, qu’il y avait comme un manque :

  • T’as pas mis de jauge à cette citerne ?
    • Ce n’est pas dans le contracte !... répondit le contremaître indigène devenu ‘’Directeur’’ pour que le chantier soit bien Maltais… L’oubli volontaire ou pas, fut réparé.

Le Roro Numéro Un des Trémal avaient encaissé l’argent des ventes effectuées en Allemagne, ainsi que celui du bel Alcindor, mais sur un compte situé probablement en Suisse ou ailleurs. Tandis qu’il faisait le beau sur le continent, le Roro deux tirait la langue à Malte et le chantier était carrément stoppé… pas d’argent pas de Suisse, les ouvriers avaient mis bas les marteaux. Un matin, tandis qu’avec mon épouse on préparait le « p’tit déj » en faisant frire des œufs et du bacon, il monta à bord en faisant un grand sourire niais :

  • Tu m’donnes qué…que’q chose Jo…jo…joachim ?... J’ai plus un balle !.. et devant l’air furieux de Madame, il baissa humblement le menton sur la poitrine, puis faisant demi-tour ajouta : Bon ! j’pars, faut qu’j’aille à la cu…culotte !... Et devant mon étonnement, il précisa… au pot ... pot !
    On apprit plus tard, que les Trémal ne pouvant quitter légalement l’île avant que les procès collés sur le dos du chantier ne soient jugés, Roro 2 s’était enfuis en Sicile, avec le gros zodiac... d’un de ses clients... où son frère et la galette escroquée l’attendaient.
    Le tour de Malte avec escale pour la nuit à Gozo, la plus Ouest des trois îles de l’Archipel, en guise de galop d’essai, fut décidé. On appareilla un beau matin. Le vent était fort et la mer agitée au large….C’était le moment de voir ce que la bête allait donner. L’enrouleur du génois avait un système inverse de ceux que je connaissais, il fallait mouliner pour rouler la toile et il larguait d’un seul coup toute la voile si on le libérait de sa tension. Il fallait donc pour rentrer la toile, venir au plus près afin d’avoir moins de mal à mouliner. Je ne fis pas assez attention, et loupant mon coup, le génois s’enroula en torche autour de son étai… Première émotion ! Bien sûr, je n’y fut plus jamais repris, cependant… je n’avais pas fini d’apprendre à maîtriser l’oiseau « Béligou », d’autres émotions m’attendaient au coin des vagues. Le mouillage entre Gozo et Comino fut calme. On rentra à La Valette pour les dernières formalités.


- 


La première escale après l’envol définitif le 19 août 1980, fut Porto Palo à l’abri du Cap Passero au Sud Est de la Sicile. C’était petit port très actif, repaire de pêcheurs jadis pirates. Il abritait une flottille de ‘’cigarettes’’ ces vedettes rapides avec leurs 3 énormes moteurs HB, peintes en noir... pour faire la contrebande nocturne.
Trois jeunes gens désargentés, amis ou parents de copains laissés à Marsaxxlokk, avaient embarqué gracieusement comme passagers pour économiser le ferry. Madame Kerdubon chargée de l’intendance les avait envoyé acheter des vivres à La Valette, en leur donnant une liste et de l’argent. Actifs, ils stockèrent sans notre contrôle les choses aux bons endroits à bord et participèrent aux manœuvres. Les deux garçons paraissaient un peu faibles par rapport à la fille qui était membre de l’équipe de France de Hand ball. Elle n’aurait pas eu de mal à les… croquer tous les deux en même temps, songeais-je. Manifestement, elle imposait sa loi au trio.
Alors qu’après une belle traversée nous admirions le soleil se couchant derrière les montagnes Siciliennes, la cérémonie du repas du soir se déroulait dans le vaste cockpit. J’avais avalé une partie d’un bol de bouillon et désirais faire ‘’chabrot’’ .

  • Passe donc la boutanche de lousou !... demandais-je à madame qui s’activait aux fourneaux à l’étage au dessous. Je ne vis pas les jeunes qui baissaient la tête bien bas sur leur assiette. Madame Kerdubon apparut affolée à la porte de la descente :
    • Il n’y a que des bouteilles d’eau !
  • C’est dans ce liquide à usage externe que vous avez investi mes tunes ?
    Les garçons bredouillèrent d’une façon incompréhensible, tandis que la championne sentant qu’elle avait poussé le bouchon (si l’on peut dire) un peu loin, tenta de s’excuser, en murmurant qu’elle avait pensé, que Madame Kerdubon s’était… trompée dans sa liste, le vin rouge contenant comme chacun le sait au moins 12% d’alcool, ce qui ne peut aller avec sport et jeunesse !

Cette leçon valait bien un fromage, d’autant plus que le cheddar et autres douceurs du même tonneau d’origine Anglaise, sont plus insipides que le savon de Marseille... quant au chèvre maltais, il donnait la « fièvre de Malte » !

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le trio, par ailleurs très sympathique, pris le train à Syracuse

Le « Béligou » nous mena d’une traite à Corfou le 27 août 1980, après avoir longé la côte de l’Italie du Cap Spartivento jusqu’au Cap Rizzuto non loin de Crotone, puis coupé le golfe de Tarente et le canal d’Otrante.
Des rafales d’une violence extrême, venues des montagnes de Calabre où le Mont Alto culmine quand même à deux mille mètres, couchèrent le voilier sur le bouchain au dessous de celui du pont. Etant donné que le vent commençait à fraîchir sérieusement, il était temps de rentrer un peu de toile avant de mettre le pont dans l’eau, c’était le moment d’essayer la première bande de ris, après avoir réduit le génois à la taille d’un bon grand foc. J’ai remarqué que sur ses bouchains horizontaux, le voilier se stabilisait sans oscillations comme font ceux qui ont des coques en forme et contrairement a ceux plus communs en forme de bananes… ce qui à vrai dire était bien rassurant pour des non-Cap Horniers !
Malédiction !... Nouvelle émotion, la drisse de grand voile en tête du mât s’entortilla avec la balancine de bôme lorsqu’on la choqua en lui donnant trop de mou d’un coup. Il fallut utiliser les magnifiques marches d’inox pour atteindre le sommet et désembrouiller les ficelles ! C’est à la suite de cette grimpée ardue que madame Kerdubon posa l’énigme suivante :


Jojo et Momo sont sur un bateau,
Jojo tombe à l’eau, que reste-t-il ?
….Il ne reste plus rien à bouffer !

A L’aube d’un beau matin, la brume se leva et la calmasse arriva tandis qu’on apercevait les hauteurs de l’île des Phéaciens. C’était le moment de faire chantonner le mercedès. Le moteur refusa de tousser. Je m’escrimai avec succès autour de la pompe à injection pour réamorcer la bête sans doute vexée d’avoir été négligée si longtemps.
Dans la journée, le vent revint. On passa entre les îles Mathraki et Diaplos évitant les écueils nombreux pour longer ensuite le Nord de Kerkyra, je veux dire Corfou. Le vent refusant à nouveau, J’appuyai sur le démarreur de la bourrique qui refusa aussi… de se mettre en route !

  • Fais quelque chose !... s’impatientait madame, qui se voyait passer encore une nuit d’incertitude au large, alors que le havre d’un port offre tant d’attraits et que ses lumières étaient bien présentes à l’horizon dans notre sud !
    • Bou diou !... m’écriais-je... Morbleu, si cette saleté démarre, je mets un cierge à Saint Glinglin ou n’importe lequel autre, dans n’importe quelle église !... Et toujours pratique, mon épouse ajouta : Et nous irons ensuite arroser notre arrivée dans le premier bistrot !

Saint Eloi patron des Mécanos et de beaucoup d’autres professions à caractère… métallique nous écouta : Mercédès chanta d’une voix plus mélodieuse que les Sirènes qui essayèrent d’enchanter Ulysse un peu plus loin dans le détroit de Messine, il y a déjà quelque temps… les siècles étant une misère au regard de la longueur de l’éternité. On pénétra dans le port de Corfou après avoir contourné l’île de Vidho sur les coups de vingt deux heures, heure où les Grecs vont dans les restaurants... enfin en paix entre amis… puisque les touristes qui mettent les pieds sous la table à sept heures pétantes, heure du Berger, désertent ces lieux de ripaille où lorsqu’on est bien allumé, on ne craint pas de casser la vaisselle dans les rires, les chants et la joie !
Dans le vieux port, entre un gros bouffi germanique à moteur et une belle bête british, on cula cul à quai après un mouillage sans bavure.Parole de Scout tenue, nous sommes pieusement allés allumer un cierge devant Saint Spiridon, patron de l’île, et nous avons goûté pour la première fois à la retzina bien fraîche.D’où cette nouvelle consigne apostillée au journal de bord par madame :


Allume un cierge
En cire vierge,
Lampe un coup de retzina,
Et ton moteur marchera !


La retzina surprend le non connaisseur. A son premier gorgeon, madame Kerdubon s’éria : « Mon été est fichu ! »... puis elle se convertit et devint fidèle à ce nectar qui a du se trouver dans le biberon d’Ulysse et encouragea Pallicares et autres héros antiques.

- 

Le vent étésien de Nord se mit à souffler avec force. La ligne de nylon, au bout des 10 mètres de chaîne octroyés généreusement par le chantier, se tendit à mort. La petite CQR, ancre de peu de kilos… se mit à draguer et le cul à s’approcher dangereusement du quai. Le Gentleyachtman Allemand accepta qu’on s’amarre à couple de son gros barlu, on ne risquait plus de chasser grâce à son ancre d’un poids phénoménal et sa chaîne du même métal… de celui dont on fabriquait les Panzers !
Le lendemain, aidé par des Français et d’autres yachtmen avec lequel on avaient trinqué, J’achetai 90 mètres de chaîne supplémentaire, ainsi que la plus grosse (50 Kilos) des CRQ de la boutique du shipchandler. Transporter cela à pinglots de la boutique du boulevard Arséniou au « Béligou »... fut amusant pour la galerie, notamment au moment où il fallut interrompre la circulation de bagnoles aux klaxons toujours en marche. Nous avions l’air d’une étrange cohorte de bagnards à longue chaîne, dont le boulet avait forme de grappin… Heureusement les sympathiques automobilistes Grecs ne râlèrent pas après nous et en riant nous encourageaient.
Il y avait toujours quelques mikro boukalia de Retzina au frais... pour récompenser notre effort !

  • Aux mouillages en Mer Egée comme ici, vous ne serez tranquilles par Meltem puissant qu’avec cent mètres de chaîne !... nous avait confié Marc, qui entre deux concerts donnés par l’orchestre de Paris où il était second violon, venait jouer une autre musique avec le vent, à bord de son voilier. A la question : Quelle est la différence entre 1er et Second Violon ?...Il répondait : Cinquante mille balles par mois ! (Anciens Francs bien sûr... soit environ75 euros)

Quittant le port bruyant, nous sommes allés mouiller dans l’un des recoins de l’une des anses de la baie abritée de Gouvia. C’était une baie tellement calme qu’un jour on eut la stupeur de voir les gars du Club Med voisin, faire du ski nautique… sur la plante des pieds. Cette nouveauté méritait d’écluser un gorgeon frais ensemble. Ils fut donc nos copains. Ces GO nous donnèrent plein de tuyaux... heureusement pas tous crevés.
Sur leurs vives recommandations, on alla tenter le diable, et narguer les Albanais. Peu après, cela se termina mal pour ces gars du Club Med lorsqu’un de leurs copains fut flingué par les sbires du dictateur coco, qui ne rigolait pas. Ils rigolaient tellement peu ces salopards de militaires d’Albanais qu’ils mirent le feu aux montagnes frontières avec la Grèce, pour mieux arrêter les fuyards de leur paradis en les anéantissant ainsi plus facilement sur un terrain dénudé.
Vu de Corfou la nuit venue, la fumée étant alors invisible, le spectacle dantesque des montagnes incendiées illuminant tout un pan du ciel, donnait des frissons aux spectateurs navrés devant un tel crime... hors nature, pour des Grecs n’ayant même pas le droit d’abattre un seul arbre sans autorisation spéciale, la crainte de la désertification étant la hantise permanente de tous.
Sous la montagne frontière, la zone côtière assez étroite de l’Epire est Grecque. Pour éviter tout heurt avec leurs voisins cocos, du genre assassinat du GO, la navigation et les baies y étaient interdites.. Ne lisant pas encore le Grec, j’ai prétendu ne pas voir l’interdiction signalée sur les cartes marines et... nous sommes allés dans la baie de Pagania y respirer la tranquillité et le repos après les fiestas avec les copains de Corfou et Gouvia, où la marina en construction nous accueillerait pour hivernage.
Une seule ferme occupait en partie le fond de la baie isolée du monde reliée par un mauvais chemin à un bled sis à des kilomètres, sans même la présence de la fée électricité. Tous les soirs, le paysan faisait sa tournée avec ses chiens et son fusil, avant de bien se barricader dans la partie habitable.
Un beau matin ensoleillé, nous avons décidé d’aller à la ferme pour y acheter quelques vivres frais. Quand le zozo aborda le petit appontement, l’homme à la carabine jaillit de nulle part avec ses chiens. Les poules effrayées caquetantes et piaillant se sauvèrent ailleurs avec quelques cocoricos sonores. Voyant que nous n’étions pas armés, que madame fumait tranquillement son cigarillo et que j’étais fort étonné, il rangea sa pétoire et fit comprendre qu’il nous avait pris pour des contrebandiers, des pirates, ou pire... des Albanais.
Sous la treille encombrée de guêpes et abeilles ensuquées des raisins mûrs, rejoints par sa femme qui amena olives, petits cubes de fromage de leurs chèvres, tomates de leur productions, ainsi qu’ouzo et eau fraîche du puits, on trinqua à nos santés.... et la bonne humeur amicale régna. D’un peu plus loin sous les oliviers, un bourricot braya en hoquetant pour nous saluer lui aussi !

  • Nom d’un pétard, c’est bien joli de parler avec les mains, mais je vais apprendre le Grec, donnes-moi ma première leçon !
    Le paysan rendu gai par l’Ouzo, hocha la tête de droite à gauche en disant : Né !... Cela voulait dire : Oui !... puis de haut en bas pour finalement regarder le ciel en disant : Oki !... avec un chuintement de H dans le K, ce qui voulait dire : Non !
  • Décidemment, les Grecs font tout... à l’envers !... même le « signe de croix » !
    • Peut-être compléta madame... mais les enfants viennent bien par devant que je sache !... à moins qu’il y ait des exceptions pour « l’amour Grec », Athéna étant sortie de la cuisse de Jupiter !
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      Kerdubon
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