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Pratiques et Techniques de la Plaisance

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Accueil du site > Articles > Traditions et cultures > Navigations australes > La navigation de Marion Dufresne

Rubrique : Navigations australes

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La navigation de Marion DufresneVersion imprimable de cet article Version imprimable

Publié Avril 2014, (màj Novembre 2014) par : yvesD   

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La navigation de Marion en 1772 [1]

La personne de Marc-Joseph Marion (aussi connu sous le nom de Marion Dufresne), son ultime expédition et sa brève rencontre avec les Maoris en Nouvelle-Zélande au printemps 1772, a été le thème d’un très riche feuilleton sur France-Culture en mai et juin 2013. Les 5 épisodes de ce feuilleton s’appuient sur le journal de Julien Crozet, découvreur de l’île du même nom (ici sur PTP : http://www.plaisance-pratique.com/m...) et second de Marion sur le Mascarin et aussi sur les journaux des autres officiers, dont celui de Le Jard Du Clesmeur, officier du grand corps et capitaine du second navire le De Castrie. Curieusement ces épisodes et les derniers journaux sont peu connus du public français et l’essentiel de ce qui est écrit l’est dans les publications de chercheurs Australiens et Néo-Zélandais, publications [2] pour lesquelles ont d’ailleurs été traduits en anglais la plupart des journaux de navigation [3] de cette époque, sources qui sont largement citées par la journaliste de France Culture.
Le journal de Marion, lui, a disparu même si Bougainville l’aurait consulté vers 1773 [4]. L’auteur australien Edward Druyker [5] suggère dans sa très complète biographie de Marion que le journal de Crozet, publié vers 1790, en fait de larges emprunts.

Ces sources, qui en on appelé de nombreuses autres, excellentes, ainsi que plusieurs ouvrages d’historiens m’ont permis d’étayer des réponses à mon interrogation initiale : quelle étaient les techniques de navigation utilisables et utilisées dans la seconde moitié du XVIIIè et lesquelles sont effectivement pratiquées à bord des navires de l’expédition de Marion [6]

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La Biographie de référence pour Marion

Le contexte de l’époque

Rappelons d’abord que cette ultime expédition, au départ de l’île de France avec Tahiti [7] comme but initial, a été montée par Marion au prétexte de ramener Aotourou à Tahiti. Elle a aussi des fins commerciales, comme l’atteste le montage par lequel l’État paye le retour de Aotourou, et avance une partie des frais de coque et d’armement, frais gagés par une hypothèque des biens de Marion à l’île Maurice (île de France) en faveur du roi, et par un prêt familial de 150 000 livres. L’épouse de Marion et les héritiers y laisseront leur chemise.

Marion est un marin issu d’une famille d’armateur malouins, corsaire, officier de la compagne des Indes [8] et officier en bleu (c’est à dire roturier, non issu du grand corps, en rouge, réservé aux très nobles). Il a été capitaine de brûlot [9] et été décoré de l’ordre chevalier de Saint-Louis [10] en 1760 pour ses faits militaires. L’expédition est montée dans l’ambiance très Rousseauiste de l’époque avec paradis perdu (Tahiti, la nouvelle-cythère), bons sauvages, terres encore à l’état anté-blé et anté-fer, économie anté-propriété privée, et donc hommes encore bons naturellement.
Aotourou, jeune fils d’un chef tahitien [11], était arrivé à la cour de Versailles avec Bougainville, les critiques des philosophes sur ce déracinement, ou un retour prévu dès le départ, on conduit à favoriser son retour à Tahiti et 36 000 livres ont été fournies à cet effet par le duc de Praslin, retour au départ de Port-Louis (baie de Lorient) en 1770 avec escale à l’île de France et rencontre avec Marion.
Les auteurs s’accordent à voir un forte influence de J-J Rousseau chez Marion et chez Bougainville mais pas chez Surville (co-re-découvreur de la nouvelle Zélande avec Cook en 1771 et Marion en 1772), ni chez Cook (3 tours du monde entre 1768 et 1779) ou Lapérouse (1785 à 1788) même si les instructions officielles dont est doté ce dernier en restent très empreinte [12].

Le contexte de l’expédition

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Itinéraire du Mascarin et du De Castries, 1771-1773
Partie de l’île de France (île Maurice) fin 1771 via l’île Bourbon (la Réunion) l’expédition subit une épidémie de variole, fatale à Aotouru qui meurt en 1771 à Fort Dauphin (sud de Madagascar), mort qui conduit Marion à abandonner sa destination initiale, Tahiti [13] (peut-être en passant par le détroit de Torres entre l’Australie et la nouvelle Guinée, comme Bougainville l’avait fait dans l’autre sens), ), au profit d’une expédition au sud, vers les terres australe à la recherche du continent austral [14] . Après un réapprovisionnement au Cap de Bonne-Espérance, le trajet emprunte les traces de Tasman [15] vers la terre de Van Diemen (actuelle Tasmanie), la Nouvelle Zélande (sans passer par le détroit de Bass entre Australie et Tasmanie, découvert seulement en 1798 par Matthew Flinders [16] et George Bass) puis remontée vers les Philippines [17] et retour à l’île de France (île Maurice).
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Les expéditions transocéaniques et autres circumnavigations de découverte commencées avant Colomb n’avaient pas cessé, elles se poursuivaient avec des motivations et des pratiques très différentes. À la brutalité des premiers conquistadors et des évangélisations avait fait place, au moins provisoirement, un désir de connaitre la diversité du monde avec une reconnaissance de l’altérité et de la place de l’autre. Ces expéditions avaient toujours une dimension plus ou moins commerciale.

On exposait avec fierté la brillante société occidentale, empreinte de l’esprit des lumières, on envisageait l’existence de l’autre et l’intérêt de ses solutions qu’on ne comprenait pas toujours [18]. Ceci n’était bien sur pas exempt de la recherche de nouveaux territoires vierges à conquérir (conquérir l’espace et l’occuper plutôt qu’établir des comptoirs) qui culminera au siècle suivant, et aussi d’une rivalité avec les anglais et encore d’une manière de redorer, pour les français, un blason bien terni par les défaites de la guerre de 7 ans et la perte des colonies d’Amérique et d’Indes (terres et comptoirs).

Notons que Afrique, Amérique du Sud, Indes, Asie, Japon, Amérique du nord et nord du Pacifique sont déjà connus et que les comptoirs y sont déjà établis, principalement par des portugais, des espagnols et des hollandais (pour l’Inde, l’Asie et les Philippines) et que le commerce naval fonctionne à plein : vers 1770, 1000 navires occidentaux avaient passé le cap de Bonne-Espérance vers l’océan indien.

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Le chanoine Pingré
Du coté français, la Compagnie des Indes Orientales, crée par Colbert en 1664, avait le monopole du commerce avec l’Inde et venait juste d’être dissoute en 1769 (ou suspendue, au moins jusqu’en 1783) par Choiseul. Elle fut une pépinière où nombres de navigateurs et savants illustres y pratiquèrent leur art avec bien sur Marion, mais aussi d’Après de Manevillette (hydrographe, le plus grand de tous jusqu’à son époque), Bouguer (astronome, hydrographe, c.a.d science de la navigation), Bouvet, et Dupleix ainsi que d’autres hommes qui croisèrent la vie de Marion tels Pingré (chanoine, astronome) et aussi Pierre Poivre (gouverneur des Mascareignes), et d’autres encore.
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d’Après de Mannevillette
L’attrait ambiant pour le continent Austral vivait ses dernières ferveurs, continent hypothétique réputé équilibrer à la fois les terres émergées de l’hémisphère nord et aussi le grand vide océanique du grand océan (le Pacifique). La recherche de ce continent conduisit surtout à la découverte des terres australes, d’abord par les malouins dès 1520, puis encore des malouins pour découvrir des étapes de « rafraichissement » vers le Pacifique (dont les Malouines) dans leur commerce interlope [19], puis par Jean-Baptiste Lozier Bouvet (île Bouvet, en 1739, Cook ne put la retrouver), Surville et Cook [20] (Nouvelle-Zélande, Australie, Tasmanie), Marc Marion et Julien Crozet (île du Prince Édouard, îles Marion puis îles Crozet en 1772), Yves Kerguelen de Trémarec (parti de l’île de France en 1771, île de la Désolation en 1772, puis îles Kerguelen) [21], et d’autre enfin au 19è mais alors sans rechercher le continent austral (D’entrecasteaux, Baudin, D’Umont d’Urville pour la terre Adélie en 1840, Duperrey et bien d’autres), puis toute l’hydrographie moderne dès Beautemps-Beaupré.
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Les 3 voyages de Cook

Wikipedia, interrogé avec ces noms de lieux ou de marins est une source particulièrement riche et attrayante, vertige assuré.

Expédition de découverte ou expédition commerciale ?


L’expédition mise sur pied par Marion n’est pas strictement une expédition de découverte scientifique – il se serait équipé d’instruments d’observation avancés [22] , d’outils, de savants [23], de missions.
Elle n’est pas non plus une expédition strictement commerciale – il aurait alors suivi « banalement » les routes connues et plus assurées de ses prédécesseurs, donc plus au nord, par exemple par l’Inde et le détroit de Torres, ou bien se serait cantonné à l’Inde, voir aux Philippines
On peut sans doute parler d’expédition de découverte privée, par opposition à expédition de découverte d’État.

L’équipe de commandement n’est d’ailleurs strictement ni une équipe de commerçants, aux techniques de navigation assez traditionnelles (et dépassées eu égard aux enjeux) et au itinéraires routiniers [24], ni non plus une équipe composée des meilleurs du grand corps, comme l’expédition de Lapérouse en 1785, et aussi celles de Suffren en 1781-1784 dans l’océan indien, alors richement dotées en astronomes et savants et en officiers connaisseurs et praticiens des techniques récentes de navigation astronomique en longitude [25]. Mais il est attesté (journal de Crozet) que Marion, Crozet et certainement du Clesmeur pratiquaient, ou savait pratiquer la longitude astronomique, dite longitude observée par opposition à la longitude estimée et dont elle en différait rapidement de 5° et plus.

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Océan oriental ed. 1775, par d’Après de Mannevillette

Au moment de l’expédition, la France et l’Angleterre, exceptionnellement, ne sont pas en guerre [26], la guerre de 7 ans vient de se terminer par une déroute française en 1763 et un désastre pour la marine, les colonies perdues attendront 1783 et la fin de la guerre d’indépendance américaine pour être partiellement retrouvées. De ce fait il n’est pas certain, ni d’ailleurs nécessaire, que Marion ait été doté des habituels sauf-conduits anglais [27], comme l’était Lapérouse et Bougainville, ou, à l’inverse, Cook avec un sauf conduit français [28].

Antagonisme rouge - bleu

Il est étonnant de constater que les archives de l’expédition de Marion (les journaux de bord [29]) ne sont pas portées à l’inventaire des connaissances ou documents retenus pour étayer et aider le voyage de Lapérouse parti de Brest en 1785, (ostracisme ?) d’autant plus étonnant que les documents de Bougainville, de l’anglais Cook, de l’espagnol Maurelle [30] et d’autres pour cette région et à la même époque sont retenus [31] , et qu’une relation du voyage de Marion vient d’être publiée à Paris en 1783 [32]. Est-ce là une marque du peu d’estime dans laquelle le monde de l’État et les cabinets du ministère de la marine tenait Marion, personnage souvent admirable et apprécié et sulfureux à l’occasion, ou plus simplement la marque du mépris assez constant de l’aristocratie (« le gouvernement des meilleurs », au sens étymologique) pour les roturiers, les bourgeois, mésestime exprimée, dans le cas de la marine, par le profond mépris des officiers du grand corps (issus des gardes de Marine) pour les officiers en bleus, récemment (vers 1750) admis dans le commandement.

Il faut préciser ce mépris incommensurable que le grand corps (issu de la noblesse avec les meilleurs quartiers à l’appui, pour 20 ans encore) portait aux officiers en bleus, même chevalier de Saint-Louis (Marion l’était depuis 1760) pour comprendre les antagonismes entre Marion (en bleu) et Du Clesmeur (très jeune mais garde de marine, en rouge, et déjà commandant de l’autre navire, le De Castries), ainsi que le choix de Duclesmeur – 21 ans en 1772 – pour commander l’expédition après la mort de Marion, au détriment de Crozet – 44 ans en 1772, considérablement plus expérimenté et breveté, népotisme est aussi un mot qui caractérise cette époque. Duclesmeur, remarquable dessinateur de trait de côtes (la Tasmanie, la nouvelle Zélande et ensuite l’Europe [33]) est un manÅ“uvrier encore ... mal assuré [34] comme l’atteste la collision entre les deux navires qui forçat à relâcher sans succès en Tasmanie puis – funeste relâche - en Nouvelle-Zélande pour y fabriquer de nouveaux mats de misaine et de beaupré pour le De Castries.
On retrouve ce mépris élevé semble-t-il au niveau de la haine avec le chevalier de Ternay [35] dans l’épisode du blocus anglais en Vilaine en 1760 [36], et on retrouve de Ternay à l’île de France en 1783, après la mort de Marion, pour torpiller son expédition, gagée sur les biens propres de Marion, et pousser à la faillite les héritiers de Marion en faisant exiger le remboursement des montants gagés.

Navigation astronomique

Si les 16 et 17è siècles furent les siècles de la loxodromie [37], Le 18è siècle fut le siècle de la longitude, et de la précision. Ce problème de la longitude astronomique hante les navigateurs [38] et les savants depuis que des bases de sa possible détermination en ont été suggérées par Galilée, vers 1600, par l’observation des occultations des satellites de Jupiter [39] et ses successeurs par les distances entre la lune et les astres ou étoiles. La théorie est abondamment développée dans l’hydrographie du père Fournier en 1643, qui y consacre 150 de ses 900 pages.

Le mi-18è est l’époque ou la navigation astronomique commence à remplacer – ou est prête à remplacer – la navigation à l’estime, ou plutôt la longitude estimée. L’imperfection des instruments existants ou à venir et la précision encore insuffisante des tables de prédiction du mouvement des astres rendaient jusque là illusoire l’observation astronomique en mer pour déterminer la longitude. C’est l’époque où les marins deviennent scientifiques, ou au moins géomètre.

La détermination de la longitude en mer par les observations astronomiques (les distances lunaires) devient plausible autour de 1750-1770 : d’une part le mouvement de la Lune est prédit avec une précision qui devient suffisante [40] [41] [42] et d’autre part les octants, sextants, cercles de réflexion, graphomètre et autres mégamètres (Hadley, Borda, Charnières et al.) sont disponibles, au point, utilisables.
Vers la même époque, Harrison en Angleterre, Berthoud et Le Roy en France, parviennent à produire des horloges de stabilité enfin suffisante en mer pour permettre les méthodes par transport de l’heure du méridien d’origine [43]. Ces horloges sont validées et certifiées lors des campagnes de l’Isis et du Flore de 1768 à 1772 [44], avec Borda, Pingré et Fleurieu, et par des campagnes britanniques à la même époque. Elles ne deviennent (commencent à devenir) réellement disponibles, en nombre presque suffisant, qu’à partir de la fin du 18è siècle [45].

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Horloge Berthoud n° 1, mécanisme
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Horloge Berthoud n° 11 à poids, 1773 ?
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Horloge Berthoud n° 3, 1775, utilisée par Borda en 1776
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Horloge Harrison n° 3, vers 1757

Pour ces raisons, la détermination de la longitude par les distances lunaires tint le haut pavé jusque vers 1830.

Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle la presque totalité des grands voyages se fit avec les seuls procédés de l’estime, dont les résultats étaient partiellement rectifiés par l’observation de la latitude. [46]

De cette dernière remarque, on retiendra qu’entre la faisabilité et la disponibilité des instruments d’une part et la pratique courante d’autre part, il s’écoulait souvent un demi-siècle, voir plus lorsqu’on prend en compte la formation des utilisateurs. Ainsi la méthode astronomique, mise au point (ou finalisée) à la même époque que la méthode par les horloges, en 1750, garda la prépondérance sur cette dernière méthode jusque vers 1830, pour s’éteindre au début du 20è siècle avec la cessation de la publication des tables nécessaires. La dernière méthode, elle, fut tuée par l’apparition de la montre à quartz Timex (vers 1970) puis par le GPS grand public (1990).

On retiendra aussi le risque permanent d’anachronisme qui rode lorsqu’on tente de deviner et dater une pratique effective à partir des pratiques rendues possibles.

Organisation de la navigation, logistique des expéditions

Les traversées duraient couramment 4 mois et plus entre les relâches prévues ou possibles (les rafraichissements), avec des bateaux lents (40 milles par jour était une moyenne honorable, mais on a vu 200 milles) et souvent immobilisés par les calmes ou les vents faibles, déviés par les courants vraiment très mal connus [47], et surchargés de matériel d’expédition, d’hommes [48], d’armement et, tout de même, de vivres et d’eau.

Autres causes de mortalité mises à part, le scorbut minait les expéditions (hémorragie dans sa phase terminale) dès lors qu’elles dépassaient une certaine durée (4 mois, Lapérouse retient 100 jours). Son origine (déficience en vitamine C) n’était pas comprise ni les traitements connus (apports de vitamine par des fruits frais, choucroute, … [49] ). Par contre les effets étaient très connus, on reconnait généralement 30% (trente) de pertes humaines annuelles à cette époque, jusqu’aux derniers voyages de Cook ou à l’expédition de Lapérouse, Un tel taux de mortalité frappe les équipages de Marion en 1772, taux qui se ramène à quelques cas pour Cook (1776) et Lapérouse (1785) avec des vivre frais, de soupe à la tortue, réputée, et des périodes en mer de moins de 100 jours, et Bougainville se félicite « J’entrai à Saint Malo le 16 après-midi [mars 1769, avec la frégate la Boudeuse], n’ayant perdu que 7 hommes pendant deux ans et quatre mois écoulé depuis notre sortie de Nantes [le 15 novembre 1766]. Sur 120 hommes dont était composé l’équipage de M. de la Giraudais [qui commandait le second vaisseau, la flute Étoile], il n’en a perdu que deux de maladie pendant le voyage … ». Pas un seul mort du scorbut lors du premier voyage de Cook (1768 – 1771). Dans tous les cas, de nombreux marins étaient malades - et invalides - du scorbut
La consommation des ressources locales (plantes, poissons, poissons coffres, cônes) était une autre source de mortalité (ciguaterra, empoisonements).

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Marion, si tu vas à terre, Tacouri te tuera
L’eau fraiche pourrissait rapidement dans des tonneaux [50] ou la population microbienne proliférait : la découverte de Nicolas Appert – l’appertisation – date de 1795. Il était indispensable de faire fréquemment terre pour réapprovisionner en eau : c’est l’aiguade, expédition à terre potentiellement dangereuse (car on était alors hors de la protection des canons des navires mouillés trop au large) et funeste à plus d’un, dont Fleuriot de Langle, commandant du second navire de Lapérouse, en 1787 [51], expédition confiée aux tonneliers et aux soldats du bord ; aiguade qu’on retrouve – infructueuse – avec Marion à la terre de Diemen et qui est fastidieuse en Nouvelle-Zélande.
Les vivres, lorsqu’ils avaient pu être embarqués en quantité suffisante (dépendant donc des ressources locales du port de départ ou d’escale, pas toujours suffisantes), se décomposait rapidement, par putréfaction ou dévorés par les insectes et ce bien qu’une part importante en soit vive et sur pied (poules, cochons, bœufs, …). Ces provisions étaient tellement décomposées qu’il était indispensable de les cuire, fût-ce en brulant les bois de réserve ou la mature.
Là encore des relâches dans des îles « incontrôlées » étaient souvent indispensables, d’où des négociations délicates ou dangereuses voire fatales avec les autochtones et l’emport d’objets de troc était nécessaire, dont le fer très apprécié sous toutes ses formes [52] [53], et les tissus ou les verres (la rassade). De telles relâches sont aussi une occasion de mettre en pratique la reconnaissance de l’humain en face, l’acceptation de l’altérité : on se surveille toujours mais on ne tire plus d’abord, on cherche à se comprendre, à se respecter, caractéristique d’un 18è siècle enfin débarrassé, momentanément, de ses prétentions à l’évangélisation des bêtes, et assoiffé de connaissances, et pas seulement en histoire naturelle. On relira la relation de l’expédition épouvantable – blattes obligent – de La Princesse avec Maurelle entre les Philippines et le Mexique (le mousse n’y fut pas mangé) en 1777 [54]. Le ton des relations à garder avec les autochtones lors des relâches est explicitement mentionné dans les instructions [55], très empreint de la vision du « bon sauvage » jusqu’à Lapérouse [56], il est plus tard beaucoup moins idéalisée [57], à partir de N. Baudin (1802)
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En plus des causes déjà évoquées, l’usure des bateaux, les fortunes de mer, les nécessités de réparation (calfatage, réfection du doublage) poussaient aussi à ces relâches, au résultat souvent aléatoire et non exempt de danger (voir la relâche sans succès à la terre de Van Diemen pour réparer les mats, et la relâche fatale pour approvisionner des mats, des vivres et de l’eau chez les Maoris de la Nouvelle-Zélande).

Enfin, malgré tout l’art de ces navigateurs, ces relâches impliquaient de mouiller dans des fonds inconnus à proximité de terres que les vents ou pire, les tempêtes ou la conjonction de vents calmes et de courants, rendaient excessivement dangereuses : on mouillait à plusieurs milles de la côte qu’on avait reconnue par de pénibles sondages, périodiques, d’atterrissage puis d’approche sur des fonds de 300 mètres (sondes de 200 brasses et plombs de 30 livres), on mouillait par des fonds de 50 mètres au moins et on allait à terre avec les chaloupes, éventuellement pour reconnaitre des mouillages meilleurs dans des baies rarement moins vastes que la rade de Hyères ou de Brest. On y était surpris par des vents violents qui forçaient à déguerpir, en y perdant à l’occasion une ou deux ancres (quantité très limitée, repêchage ou réapprovisionnement impossible), comme cela arriva au De Castrie du jeune commandant du Clesmeur [58]. On relira aussi à ce sujet les angoisses de Maurelle [59].

Signalons encore l’usage des coups de canon dont on espérait entendre l’écho sur les reliefs qu’on approchait, et aussi pour garder le contact dans les navigations à plusieurs navires ou au contraire pour éviter ces contacts par temps de brume ; ces deux derniers usages sont mentionnés dans la relation du dernier voyage de Marion.

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Sonder par grand fonds

Navigation pratique à l’époque de Marion, pratiquée par Marion

J’observais le 10 février 45° 36’ de latitude méridionale : la longitude estimée au même instant était de 81° 30’. J’observai ce même jour plusieurs distances de la lune au soleil, dont le résultat m’indiqua que nous étions réellement à 90° de longitude à l’orient du méridien de Paris. [60]

Le 18 janvier nous vîmes des poules mauves, des goélettes, des loups marins et du goémon. M. Marion fit sonder à six heures du soir, & l’on ne trouva pas de fond, quoiqu’on eût filé 130 brasses de cordes. A 8 heures du soir on cargua la grand voile. Nous fîmes route pendant la nuit sous les deux huniers & la misaine … je remarquai qu’au soleil couché, les goélettes et autres oiseux de mer prenaient leur vol du coté de l’est & est sud-est, ce qui annonçait des terres dans cette partie [61].


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le journal de Crozet


Dans ces des deux extraits, qui décrivent des techniques de positionnement et d’atterrissage, on trouve une des rares mentions observations astronomiques – en mer – de la longitude, et on en remarquera la différence énorme (8° 30’), et pourtant habituelle à cette époque, avec la longitude estimée par … l’estime. La latitude est toujours observée en 1772.

La navigation – au sens du maintient de la route à suivre, et entretien du point estimé – en cette mi-18è s’appuie sur la navigation loxodromique et l’estime de la route suivie (cap et distance, dérive) et occasionnellement la position obtenue par des observations astronomiques. Cette estime permet d’atteindre des positions (latitude et longitude) mentionnées dans des almanachs [62] ou issues des relations de voyages précédents et d’observations astronomiques accumulées lors des séjours à terre.

Le développement de la navigation de commerce ne pouvait plus se contenter des méthodes des grands explorateurs des 16è et 17è siècles, à cause des méthodes trop imprécises du positionnement du navire, ou de l’obstacle ou de la destination sur la carte et qui étaient occasionnellement la cause de pertes totales et toujours la cause de très lentes prudences (réduire la voile, être à la cap, tirer des bords plats toute la nuit, ralentir pour sonder pour atterrir), d’errements [63] qui augmentaient aussi les risques de scorbut, lorsque ces lenteurs conduisaient à encombrer de vivres des cales de navires de commerce, … . Il fallait passer à une navigation plus précise pour laquelle tout était à inventer : il fallait inventer les méthodes, calculer les nouvelles tables, mettre au point les instruments, collationner les nouvelles informations de terrain ou les recalculer, former les futurs utilisateurs (la formation des pilotes commençait par du calcul et de l’écriture, alors les logs …) et en relever le niveau, mettre en place les écoles et les formateurs (les hydrographes enseignant dans les écoles de marine), avoir des formateurs de formateurs (les savants, l’académie) et des productions écrites (les ouvrages d’hydrographie ou d’astronomie).

Ce fut le travail du 18è siècle [64].

L’estime

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Histoire générale de la navigation

L’estime s’appuie sur les mesures, à la boussole, des caps suivis et, au loch, des distances parcourues. Les pilotes convertissent ces mesures en route gagnée en latitude et en longitude, travail qui semble encore à leur charge au milieu du 18è siècle [65], en y appliquent les corrections de leur cru, de leur invention ou de leur compréhension afin de compenser l’imprécision des instruments et la méconnaissance des phénomènes de courants et de dérives [66].

L’ouvrage de Frédéric Marguet (histoire générale de la navigation du 15è au 20è siècle, publié en 1931 et accessible en texte et facsimilé sur Plaisance Pratique) et en facsimilé sur Mar Mar Mar est la référence sur ces sujets de l’histoire de l’estime (chapitre 2 et 4) de la navigation astronomique (chapitre 5 à 7) ou de la longitude (chapitre 8). Le paragraphe sur les résultats dans le chapitre 2 dresse un tableau extrêmement sombre de ce qu’on pouvait atteindre avec cette estime là, et il apparait comme une charge violente sur la pratique des pilotes, manifestement plus à la hauteur des attentes du trafic. C’est ma source principale pour ce qui suit.


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La mesure des distances avait nécessité la mise au point du loch pour mesurer la distance que parcoure un objet fixe dans l’eau pendant un 120è d’heure (30 secondes) mesurée au sablier. L’objet fixe défilant était la planchette du loch relié au navire par une corde à nÅ“uds, planchette entrainée (au glissement près, qu’on savait estimer) par le mouvement du navire. L’espacement de ces nÅ“uds (en théorie de 1/120è de mille soit environ 15 mètres, au glissement dans l’eau près, qu’on compensait par des nÅ“uds moins espacés) est rattaché à des distances angulaires (le mille marin, la minute d’arc sur un grand cercle), ce qui implique d’avoir (re) déterminé la circonférence de la terre [67]. Cet espacement avait varié, au cours des deux siècles, entre 41 pieds et 50 pieds, glissement compris.
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A filer le loch à bateau
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Renard et ses pinoches de cap et de vitesse
Le timonier relevait toutes les 30 minutes (sablier de 30 minutes, 8 pour un quart de quatre heures) le cap suivi à la boussole, cap exprimé en rhumb de 1/32è de cercle (ou en 45° divisés en 4 quarts ou rhumb de 11° ¼ [68]. Il relevait également – au loch - la vitesse du navire et reportait ces mesures sur une planchette à pinoches (le renard) que le pilote exploitait à la fin du quart (celui qui fait 4 heures, pendant lequel 8 ampoules de sablier de 30 minutes se sont écoulées). Certains renards permettaiebt aussi de noter la dérive estimée (sillage ?). L’effet des courants relevait de l’estimation des pilotes même si des instruments réputés en mesurer la dérive (basée sur l’hypothèse, pas inexacte mais inutilisable, que ces courants étaient superficiels) avaient été mis au point. Les même pilotes ajoutaient la poudre de perlimpinpin liée à l’effet des vagues de face ou portantes jusqu’à obtenir des positions estimées qui conviennent et qu’ils préféraient optimistes par rapport à l’heure d’atterrissage [69].
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La mesure du temps impliquait d’utiliser des sabliers vérifiés (les montres utilisables à la mer sont hors de prix), par exemple au moyen de pendules taillés pour battre la seconde et corrigés lorsque l’accélération de la pesanteur varie. Car elle varie comme Newton l’avait montré théoriquement et comme Maupertuis (au pole nord, en Suède) et La Condamine, Bouguer [70] et Godin (à l’équateur, au Pérou de l’époque, autour de 1740 [71] ) l’avaient vérifié expérimentalement lors d’expéditions de terrain pour la mesure du degré d’arc terrestre. Des horloges astronomiques (y compris à terre) peuvent être utilisées pour quantifier la variation et spécifier les pendules, dont on trouve les spécifications dans les livres d’hydrographie de ces époques. Dans un sablier de 30 secondes, le sable (ou mieux la coquillle d’œuf pilée) s’écoulaient en 25 à 35 secondes, selon les pilotes.
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Sablier, fixations pour le retournement


A l’époque de Marion tous les pilotes ne respectait toujours pas la consigne (correcte) du ministre Maurepas [72] d’espacer les nÅ“uds de 47 pieds et 7 pouces. Des nÅ“uds moins espacés mettaient en avant sur la route, précaution de navigation invoquée par ces pilotes. Les pilotes s’arrangeaient aussi avec les sabliers pour obtenir la magie noire qu’ils estimaient la plus appropriée (à leur statut ?)
La direction suivie était relevée avec une boussole plus ou moins bien alignée avec le vaisseau, plus ou moins à l’abri des éléments perturbateurs (les canons, la tôle ferreuse ou au contraire en cuivre pur de l’appareil d’éclairage, l’autre boussole commode à utiliser sur l’autre amure, …). Cette boussole, c’est connu, indique une direction assez liée aux nords [73]. Il a fallut comprendre ces phénomènes de variation de la boussole, ces nords, ces courbes de variations (qui ne sont pas des méridiens comme on avait pu l’espérer avec la mécométrie de l’aimant) et les méthodes astronomiques pour en évaluer et surveiller quotidiennement la valeur (c’était la règle à bord, les jours non couverts) par observation du gisement d’astres (soleil, lune, étoile) à des moments choisis (lever, coucher, culmination au méridien, ou de part et d’autre de celui-ci) en utilisant les almanachs appropriés, comme nous le faisons encore de nos jours.

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Compas sec
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compas d’azimuth
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isogone pour 1924
boussole de route, destinée à être suspendu, peut aussi être calé par rapport à la ligne de foi boussole de déviation, on met le fil incliné entre le soleil et l’équerre, ombre sur l’équerre isogones pour le pacifique sud en 1924, illustrant très à postériori l’impasse que constitue la longitude par la déviation du compas (mécomètrie)

Vers 1750 presque tous (mais pas le grand Buffon, dans son histoire naturelle) abandonnaient la piste suivie pendant plus d’un siècle de la mécométrie de l’aimant qui aurait permis se positionner en latitude/longitude en se basant sur la déviation observée de la boussole [74].

Colomb, après une longue tempête lors du retour de son second voyage et alors que la dizaine des pilotes à bord était complètement perdue, avait estimé être au voisinage des Açores en observant lévolution de la variation de la déclinaison du compas, identique à celle qu’il avait observée à l’aller.

Marguet cite de nombreuses utilisations du sens de cette variation pour lever le doute entre une position trop à l’est ou trop à l’ouest lors d’un atterrissage sur les Mascareignes en venant du sud, ou autour du Cap.

Et encore Marguet : « Cependant nous nous garderons de jeter la pierre aux auteurs de ces idées étranges pour nous. Pour les juger, nous ne devons pas oublier que nous savons, alors qu’ils cherchaient et précisément pour nous apprendre ce que nous savons. Mis nous-mêmes en présence d’un domaine nouveau de la nature, à définir et à expliquer, nous opérons comme eux, imaginant tout le possible que nous éprouvons par l’expérience et la réflexion et c’est ainsi que nous avançons peu à peu dans la conquête du vrai. »

Le problème de la loxodromie

Dès le milieu du 16è siècle se posait le problème de transformer cap et distance en gain en latitude et longitude et inversement, le problème du cap à suivre et de la distance à parcourir pour, partant de telle position, arriver à telle autre position. C’est le problème de la loxodromie [75] [76] qui occupa les esprits savants des 16 et 17è siècles et qu’on retrouve dans les ouvrages d’hydrographie de ces siècles, à la fois pour exposer les méthodes et aussi pour combattre les pratiques erronées et fabuleuses de nombreux pilotes. On peut supposer ce problème entièrement résolu au 18è siècle.

Fournier (dans son hydrographie, 1643) explique qu’on ne peut répartir ce gain à part égale entre latitude et longitude, comme cela se faisait et, en raisonnant avec des morceaux de fuseaux de globes collés à plat, il explique astucieusement que les distances en dehors des fuseaux ne peuvent être comptées


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L’astuce de Fournier
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Quartier de réduction
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Quartier, utilisation
En plus des cartes locales équipées d’échelles de latitude et aussi de longitude ou en utilisant la trigonométrie sphérique (après tout, John Napier venait d’inventer les logarithmes en 1614), des instruments avaient été inventés pour permettre des solutions graphiques, par exemple le quartier de réduction et aussi la projection (ou canevas) de Mercator.
Le quartier de réduction – déjà décrit par Blondel en 1671 – permet, connaissant la latitude moyenne, d’affecter telle partie de la distance parcourue à la progression en latitude et telle autre partie à la progression en longitude.
Pour celui-ci, 30’ (CA) parcouru à l’ENE à la latitude moyenne de 45° donne CA ; projection de A donne A2 et CA2 = gain en latitude ; A1A intersecte φ=45° en B et CB = gain en longitude
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Pour celui-là, 30’ parcouru dans le 30° (Rf) à la latitude moyenne φ=50° donne OA ; projection OC = gain en latitude ; g = OB = gain en longitude avec A’A intersecte φ=50° en B et OA’ = chemin en longitude

La projection de Mercator permet de reporter, sur des cartes, les loxodromies comme des droites et de mesurer les distances sur l’échelle des longitudes [77]. Sa mise au point, officiellement en 1569, par Gérard Mercator, porta sur l’espacement à donner - dans les cartes réduites - aux lignes d’égale latitude, les longitudes étant régulièrement espacées. On trouvera, dans l’ouvrage de Marguet et aussi dans celui de Ségéric, de fabuleuses narrations de cette longue épopée, riche en tâtonnements (calculs sur des globes immenses), approximations, simplifications, rudes labeurs (calculs de dizaine de minutes en dizaines de minutes de 0° à 89°), intuitions et ... hasards (le log de la tangente de la demie latitude augmenté de Ï€/4).

L’information nautique

La précision accrue des observations à terre et en mer permet bien sur de préciser ou rectifier les destinations dans les almanachs, les îles et les traits de cotes sur les cartes et aussi de nettoyer ces cartes de toutes les vigies, observations très souvent infondées de récifs rapportées par des prédécesseurs (vague très brutale confondues avec un talonnage, brisants sur un cadavre de baleine, … voir Marguet) et qui ralentissaient la navigation. De même furent évacuées les îles dédoublées ou quadruplées, placées à la même latitude et espacées de l’erreur courante sur l’estime (1 à 2 ° d’erreur [78]).
Toute nouvelle amélioration des tables permet, si le détail des calculs initiaux a été conservé, d’affiner la position dans l’almanach. Toute position calculée en mer avec des (anciennes) tables permet, en refaisant les calculs à terre et à partir d’observations astronomiques terrestres des astres effectuées au même moment (et non plus à partir des anciennes tables), d’affiner les positions. C’est aussi pour cette raison que les journaux de bord devaient être déposés au capitaine du bord pour inspection par l’hydrographe.

La navigation astronomique

La latitude

La latitude est depuis longtemps déterminée par l’observation de la culmination des astres (soleil, étoile polaire). Les instruments rudimentaires et à observation directe (astrolabe, arbalestrille, bâton de Jacob) ont fait place au 18è siècle à des instruments à observation indirecte par simple réflexion (arbalestrille, quartier de Davis) et double réflexion (octant à grand débattement pour les distances lunaires, sextant, cercle de réflexion de Mayer et de Borda). Les tables de prévision du mouvement des astres, de leur lever/coucher et de leur culmination gagnent en précision (voir le tableau en fin d’article), la latitude observée, qui devient plus précise, induit une erreur en longitude plus faible [79].

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Astrolabe de marine
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Arbalestrille à visée directe
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Quartier de Davis
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Octant
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Cercle réflecteur de Borda

De gauche à droite : astrolabe de marin, arbalestrille, quartier de Davis, octant, cercle de Borda. Illustration prises dans J. Randier et dans E.G.R Taylor

Les valeurs observées doivent être corrigées : - de l’erreur instrumentale [80] ; - de la dépression de l’horizon [81] ; - de la réfraction astronomique [82] ; - de la parallaxe [83] (sauf pour les étoiles) ; - et enfin du demi-diamètre de l’astre observé, Lune ou Soleil.

L’ensemble de ces corrections constitue la réduction de l’observation. Ces corrections sont comprises et corrigées précisément au 18è siècle, après deux siècles de recherches.

La longitude

La longitude, à terre, est pratiquée dès le 17è siècle par l’observation de phénomènes universels [84] tels que les (trop rares) éclipses ou l’émersion/immersion des satellites de Jupiter, phénomènes prévus à une heure donnée permettant donc de recalculer l’heure, et donc la longitude, au point d’observation. L’observation exige une lunette, trop instable à la mer.
La longitude en mer est – au milieu du 18è siècle – déterminable par les distances lunaires. La méthode consiste à mesurer la distance séparant un astre animé d’un certain mouvement (la Lune, le Soleil sont de bons candidats) d’astres (les étoiles mais aussi le soleil si le premier est la Lune) animés d’un mouvement différent [85], à condition que les deux mouvements soient correctement prévus et donc la position des objets mouvants connue. La prévision du mouvement des étoiles est bien connue depuis longtemps, celle du soleil aussi, en particulier par les apports de Newton. Le mouvement de la Lune est formellement imprévisible [86] mais des observations antérieures et des équations affectées de très nombreux coefficients, à identifier et d’amplitude à déterminer, permettent, observations et coefficients à l’appui, d’en dresser des tables valables pour une période à venir de quelques années au plus, ce qui suffit [87].
Ces tables sont progressivement plus précises et permettent de pré calculer des distances (angles) entre la Lune et le Soleil ou entre la Lune et quelques étoiles choisies préalablement selon la configuration astronomique du jour, et variables au cours de l’année, et permettant de faire ces observations et calculs tous les jours de l’année. Des calculateurs – à terre - dressent ces tables et les publient à titre privé, l’élaboration et la publication en fut ensuite confiée aux bureaux des longitudes (créé en France en 1795, mais dès 1714 en Angleterre pour des taches un peu différentes) [88].
La méthode fréquemment utilisée (dite de Borda, en France) consiste à relever simultanément cette distance ainsi que la hauteur zénithale des deux astres puis à suivre un canevas de calcul pour obtenir l’heure locale et la longitude du lieu d’observation [89]. La méthode est très sensible aux erreurs d’observation ou de tabulation qui se traduisent par un facteur 25 ou 30 selon que l’autre astre est une étoile ou le soleil (peut-être est-ce l’inverse ?) ; obtenir au final une longitude à 60 milles près – but fixé par le Longitude Act – est un très beau résultat.
Marion moquait cette méthode qui « au final ne donnait que 25 lieues de France », c.à.d. 75 milles [90].
Comme pour la latitude, Les observations doivent être corrigées (erreur instrumentale, dépression, réfraction, parallaxe, et aussi des demi-diamètres selon le bord de l’astre qu’on fait tangenter avec le bord de l’autre astre).

J-J Ségéric résume les progrès de la précision du point astronomique à la mer dans le tableau ci-contre :

Notons que ce n’est qu’au 19è siècle que fut découvert de manière fortuite la méthode (construction graphique) de la droite de hauteur [91], et seulement à la fin du 20è que fut découverte la méthode du plan des sommets, toutes deux méthodes remarquables de simplicité et d’élégance, au moins à postériori.

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Evolution des imprécisions sur le point
En guise de conclusion sur le problème de la longitude à la mer, je citerai ces deux phrases de J-J Ségéric [92] :

Pour les nations maritimes, la longitude, cette affaire sans prix, eût un coût, coût littéralement incommensurable, mais le but fut atteint : à la fin du 18è siècle, la précision théorique du point astronomique calculé par du personnel formé et compétent pouvait atteindre 10 milles nautiques ; c’était trois fois mieux que la plus sévère exigence du Longitude Act de 1714.

Le 18è siècle fut bien le siècle de la conquête de la longitude, mais une forme d’inertie socioculturelle retarda en France la pratique à bord des méthodes les plus abouties.


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Bibliographie commentée

  • France-Culture, la trop brève rencontre de Marion Dufresne et des Maoris, par Delphine Morel, feuilleton diffusé le 24/06/2013 et suivant, http://www.franceculture.fr/player/... . Aussi pour les évocations des journaux de Du Clesmeur, Le Corre et al. et les études contemporaines de Anne Salmond et John Dunmore.
  • Edward Druyker, Marion Dufresne, un marin malouin à la découverte des mers australes, ed. Les Portes du Large, 2010 (encore disponible en vente par internet). La biographie de référence, bibliographie exceptionnelle, nombreuses notes très riches.
  • Frédéric Marguet, histoire de la navigation du 15è au 20è siècle, 1931, à retrouver en ligne par google. La référence, facsimilé accessible en ligne, version texte à venir prochainement.
  • E. Guyot, histoire de la détermination de la longitude, Chambre suisse de l’horlogerie, 1955. Pour le 2è voyage de Colomb et la mécomètrie de l’aimant, et les développements des calculs astronomiques.
  • E.G.R Taylor : le marin géométrique. Instruments de marine, en français, par une géographe anglaise.
  • J-J Ségéric : (la fabuleuse) histoire du point astronomique en mer, marine éditions 2013. Bibliographie exceptionnelle, nombreuses notes. S’il n’y en a qu’un ce sera celui là, mais avec Marguet.
  • David Landes, l’heure qu’il est, NRF 1988. Pour tout ce qui concerne les horloges, jusqu’à la timex.
  • W. J. H. Andrewes, Quest for longitude, Harvard University, Cambridge, MA, 1996. Colloque, avec l’exemple illustré de longitude par les distances lunaires, et pour Cavelier de la Salle tué par ses mutins en 1687 pour cause d’erreur de longitude.
  • Vincent Julien, Colloque sur les longitudes (UNO, 1999). Pour l’apport du 19è, le plan des sommets au 20è, et encore Landes.
  • Colloque Lapérouse, Albi 1985. Très nombreux textes sur le contexte, la Polynésie et le contact, la santé, l’hydrographie, ...
  • Mollat et Taillemite, L’importance de l’exploration maritime au siècle des lumières, ed. CNRS 1982. Pour l’article de John Dunmore sur le bon sauvage, le scorbut, et bien d’autres.
  • Rivière et Issur, Baudin – Flinders dans l’océan indien, l’Harmattan, 2006. Pour une nouvelle présentation de Druyker (The isle of France and Baudin’s precursor in Australian waters) apportant des précisions absentes de l’édition française de la biographie de Marion, et aussi pour la description de la colonie de l’île de France.
  • Philippe Bourdon, La navigation astronomique, ed. Institut océanographique, 2000. Remarquable de clarté sur les référentiels astronomiques et les points déterminatifs, figures claires, évasif sur les distances lunaires. « Ã  bord, ne pas parler de méridienne, mais de culmination ».
  • Florence Trystram, le procès des étoiles, les savants au Pérou (Payot, 2001). Épique.
  • Jean Randier, l’instrument de marine, ed. Marcel-Didier Vrac, 1999. Très belles illustrations d’instruments d’époque.
  • Jean-Baptiste Denoville, traité de navigation de 1760, manuscrit de la bibliothèque municipale de Rouen, mis en forme et commenté en 2008 sous la direction de E. Hébert. Texte étonnant, pour percevoir l’aspect très « rétrograde » de l’enseignement effectif pour les pilotes en 1760, source de nombreux détails sur l’ « indigence » et le « retard » de l’enseignement pratique de l’hydrographie (école de Dieppe).

Documents en ligne

Les émissions de France-Culture à partir de http://www.franceculture.fr/player/...

Sur google books ou le site Gallica de la BNF  :

  • Julien Crozet, journal (avec citation d’une rare longitude observée et des nombreuses longitudes estimées).
  • Le Jar du Clesmeur (introuvable en ligne, chercher en Australie ?)
  • Fournier, hydrographie 1673, table des matières en version texte à venir.
  • Cook, Relations de voyages autour du monde. Existe aussi en version papier chez La Découverte, avec les notes de Ch. Lloyd des éditions anglaises d’origine.
  • Bougainville, Voyage autour du monde .... Existe aussi en version papier chez La Découverte.
  • Milet-Mureau, voyage de La Pérouse autour du monde ..., imprimerie de la République, Paris an V. Publié en version électronique textuelle par l’INALF et repris par la BNF, publiée à nouveau en version facsimilé. Surtout pour le tome 1 : inventaires et missions, relation de Maurelle, version texte à venir prochainement.
  • Pierre Bouguer, nouveau traité de navigation, Paris 1753.
  • Chanoine A. G. Pingré Etat du ciel pour l’an de grace 1757 calculé sur les principes de M. Newton ... , Paris 1757.
  • Pingré : et aussi dans le voyage du marquis de Courtanvaux ... pour essayer plusieurs instruments ... mis en ordre par M. Pingré, Paris 1768
  • Esprit Pézenas, Astronomie des marins, 1766
  • Claret de Fleurieu, voyage fait … en 1768 et 1769 ... pour éprouver les horloges de Berthoud, Paris 1773. Sur l’Isis.
  • Claret de Fleurieu, Voyage autour du monde de 1790 à 1792 du capitaine Étienne Marchand, Paris an VI et VIII. Lire son étonnante péroraison pages 574 et suivantes du tome 1 (relevée par Ségéric)
  • Borda et Pingré, campagne du Flore pour éprouver les horloges et instruments. À retrouver.

Crédit images

  • Julien Crozet, journal.
  • Jean Randier, l’instrument de marine.
  • Edward Druyker, Marion Dufresne, un marin malouin à la découverte des mers australes.
  • Dennis Fisher, Latitude hooks ...
  • Muséum Lapérouse, Muséum d’histoire naturelle de Paris et Musée d’Histoire Maritime de Nouméa.
  • G. Le Turner, scientific instruments.
  • J-J Ségéric, histoire du point astronomique en mer.
  • E.G.R Taylor, le marin géométrique.

[1] J’ai fait le choix de reporter les compléments dans des notes de bas de page, qui apparaissent en fin du texte principal, et qu’elles allègent.

[2] Ces textes sont aussi la marque d’un très grand intérêt austral pour les découvreurs français et anglais, et aussi de l’horreur encore éprouvée aujourd’hui devant la répression (plus de 200 morts mahorais) qui a suivi la mort de Marion et de ses compagnons. Ces textes font états de témoignages issus de la tradition orale d’acteurs mahorais contemporains de 1772 : Marion Tacoury Maté Terra / Marion, si tu vas à terre, Tacoury te tuera, cité par E. Druyker.

[3] D’une manière générale, les journaux publiés sont restreint à la partie narrative du voyage, à l’exclusion des précieuses et rébarbatives mesures faites par les timoniers et pilotes et leurs calculs conduisant à l’entretien de l’estime. De même le détail des calculs conduisant au point observé à partir des angles mesurés est omis.

[4] Selon Druyker, Bougainville, dans une lettre à Brest datée de 1773, demande à l’emprunter puis dit le restituer en 1774. Le duc de Croy dit l’avoir lu peu après.

[5] Edward Druyker, Marion Dufresne, un marin malouin à la découverte des mers australes, ed. Les Portes du Large, 2010.

[6] Ce texte n’est en aucune manière un travail d’historen, pour lequel je n’ai ni la formation ni n’en connais les méthodes.

[7] L’archipel des Mascareignes, au nord-est de Madagascar est sous contrôle français à cette époque, il est composé des trois îles de France, Bourbon et Rodrigue, de nos jours île Maurice, La Réunion et Rodrigue. C’était en 1772 la base pour un important commerce entre les comptoirs des Indes et Lorient, siège de la Compagnie des Indes.

[8] Et négrier, issue d’une famille malouine enrichie par la course et par la traite et lui même pratiquant ce commerce dans l’océan indien. Il avait à son bord quelques-uns de ses propres esclaves – dont les 3 femmes achetées à Fort Dauphin – dans sa dernière expédition ainsi que dans sa fin tragique. A l’inverse de Bougainville, son « Rousseauisme » s’accommode du commerce ignoble. Druyker, dans une présentation de 2003 remet d’ailleurs en question ce « Rousseauisme ».

[9] Voir Druyker pour les titres en vigueur dans la marine française de l’époque.

[10] Ce début de (très petite) noblesse à titre militaire s’accompagne d’un changement de signature : Marc-Joseph Marion change sa signature de Macé en Marion Dufresne, Dufresne étant les terres de sa noblesse.

[11] Aotourou, prêtre-navigateur (tohunga) originaire de Raiatea, est le fils de Tupaia, ou Toupaia, chef récemment déposé et prêtre-navigateur-chamane que Cook rencontra à Tahiti en 1769 lors de son premier voyage et qui lui communiqua les informations (gisements, distance) qui ont permis d’établir la carte du Pacifique dite de Tupaia. Il fut aussi interprète avec les Maoris ; mort à Batavia en 1770 Voir la note n°16 par Christopher Lloyd dans l’édition des voyages de Cook et la page 343 du livre de D. Lewis, We, the navigators.

[12] Tome 1 du voyage de Lapérouse.

[13] Ou peut-être simplement à en modifier le trajet par un trajet d’exploration plus au sud.

[14] Dite aussi terre de Gonneville, du nom de l’hypothétique explorateur français qui l’aurait aperçu en 1504

[15] Navigateur de la VOIC, compagnie néerlandaise des indes orientales, découvreur en 1642 de la terre de Van Diemen – plus tard Tasmanie – et de la nouvelle Zélande, juste effleurée.

[16] Explorateur des mers du Sud et contemporain de Nicolas Baudin, c’est aussi l’homme de barreaux métalliques éponymes utilisés pour compenser une partie de la déviation des compas.

[17] Duclesmeur, commandant après la mort de Marion à sauté l’étape de Tahiti et la découverte du pacifique sud, conservant, avec l’escale aux Philippines, l’aspect commercial du voyage et très certainement aussi pour approvisionner des épices à acclimater à l’île de France, île qui ambitionne d’être la source des épices pour le marché français

[18] Pour l’incompréhension, et même la totale non perception de leur art de naviguer, des navigateurs polynésiens, voir l’article de P. Adam disparition des navigations océanes dans Colloque Lapérouse Albi 1985, et aussi D. Lewis, We, the Navigators.

[19] Interlope n’a pas ici de connotation péjorative, il s’agit du commerce hors des règles communes, en fraude des régimes de concessions, que pratiquait les malouins jusqu’au début de ce 18è siècle et dont l’effondrement les a durement marqué.

[20] On lui (Cook) doit la connaissance complète de la Nouvelle-Zélande où, soit dit en passant, il se croisa avec le Saint-Jean-Baptiste de Surville le 17 décembre (1769). Le Français venait de l’Ouest, vent arrière et rangea la pointe nord de l’île du Nord. Cook venant de l’Est, vent debout, tira des bords laborieux. Ils auraient pu se voir, se parler, mais le 17, Cook était 60 milles au nord de Surville … selon M. de Brossard, in Moillat et Taillemite.

[21] … Cook, à l’escale du Cap de Bonne-Espérance en mars 1775, après avoir rencontré Crozet, commandant de l’Ajax, lequel lui avait communiqué les routes de Kerguelen en 1772, 73, 74, celles de Marion-Dufresne et Crozet en 1771-72-73 et celles de Jean-François de Surville en 1769-70-71. selon M. de Brossard, in Moillat et Taillemite.

[22] Mais d’après Druyker, Marion fut déçu de ne pas avoir son comparse Commerson – botaniste de Bougainville - et son chronomètre Berthoud, parmi ses compagnons de voyage.

[23] Ainsi, les auteurs australs contemporains regrettent-ils l’absence de précision dans les (premières et avant-dernières) observations faites des peuples natifs de la Tasmanie et de leur relation avec la nature (végétation, animale, mise en valeur du territoire). A comparer avec les relations très détaillées des Lapérouse, Bougainville et Cook.

[24] Encore que les officiers de la compagnie des Indes comptaient des pointures, dont l’illustre hydrographe d’Après de Manevillette, et dont Crozet avait été premier lieutenant en 1753.

[25] En 1761 et à l’occasion d’une expédition marchande de la compagnie des Indes vers les Mascareignes (et les Seychelles ?) Marion conduit le chanoine Pingré - brillant astronome - à l’ile Rodrigue, base prévue pour y observer le transit de Vénus (passage de Vénus devant le disque solaire). Ces campagnes coordonnées et synchronisées d’observations mobilisèrent tout ce que l’Europe comptait d’astronomes, et furent menées un peu partout dans le monde connu, afin de déterminer un certain nombre de distances et dimensions astronomiques, voir http://www.obspm.fr/le-passage-de-v... pour les enjeux de ces expditions. Ainsi le transit de Vénus en 1769 fut la justification du premier voyage de Cook.

[26] Les deux pays seront en guerre pendant 60 ans de 1660 à 1815, sans compter les hostilités non-officielles.

[27] Marion était doté d’un sauf-conduit espagnol pour l’escale aux Philippines.

[28] Pendant toute cette période, les militaires de ces nations se battaient, les savants coopéraient, et les contributions aux concours des académies nationales venaient du monde entier.

[29] D’une manière générale les publications des journaux de bord se limitent à la partie narrative bien que ceux-ci fassent – obligatoirement - mention de tous les éléments de l’estime et des calculs liés au pilotage ou à l’observation astronomique (journal de bord .vs. journal de mer).

[30] Voir le tome 1 de la relation du voyage de Lapérouse, missions et approvisionnements

[31] Absent donc des instructions rédigées en grande partie par Claret de Fleurieu, absent également, avec Surville, des 149 pages d’introduction historique très exhaustive au voyage autour du monde de 1790 à 1792 du capitaine Étienne Marchand par le même et toujours excellent Fleurieu, Paris an VI.

[32] Il s’agit du nouveau voyage à la mer du sud, le journal de Julien Crozet, mort en 1782

[33] Voir le fond de cartes de la BNF

[34] La manÅ“uvre est pourtant, avec le dessin et les mathématiques, l’un des thèmes préférés des gardes de marine dans leurs écoles.

[35] En tout cas, après la mort tragique de Marion, de Ternay semblait avoir gardé assez d’amertume pour tenter de ternir la réputation posthume de l’explorateur, conclut Druyker

[36] Pendant la guerre de 7 ans, après la défaite de la bataille des Cardinaux au large du Croisic (battle of Quiberon) dans le Morbihan, la flotte menée par Marion et de Ternay fut bloquée dans la Vilaine. Cet épisode conclut le plan calamiteux d’invasion de la Grande Bretagne en 1759.

[37] Ph. Bourdon écrit, à la fin du 20è siècle : Une loxodromie est une courbe de la sphère qui coupe tous les méridiens sous le même angle. Un navire qui fait route à cap constant décrit sur la sphère une loxodromie. Les méridiens et les parallèles sont des loxodromies particulières. L’image d’une loxodromie sur la carte marine est une droite …

[38] Qui du 16è au 18è siècle sont de moins en moins nombreux à refuser d’admettre qu’il puisse y avoir une solution à ce problème.

[39] Les satellites de Jupiter, observables à la lunette astronomique, passent périodiquement et de manière prédictible derrière Jupiter (l’immersion) pour réapparaitre ensuite (l’émersion). Émersion et immersion forme le transit dont les dates sont prédictibles et publiées dans des almanachs.

[40] Par Clairault, s’appuyant sur deux siècles et plus d’observations astronomiques, puis Euler et de Lalande.

[41] Et il en faut beaucoup, de précision : une erreur de 1 minute sur l’observation des distances lunaires ou dans les tables de prévision est multipliée par un facteur 25 à 30 dans la précision de la longitude déduite. Difficile dans ces conditions d’atteindre la précision du degré d’arc de longitude qu’exigeait le Longitude Act. Marion moquait cette méthode fastidieuse qui garantissait au mieux 25 lieues / 75 milles, même si le journal de Crozet fait état de 5 à 8° d’écart entre estime et observation.

[42] Suffisante, c’est-à-dire compatible avec les exigences du Longitude Act, qui exige une précision pour la longitude de l’ordre du degré d’arc après une traversée océanique d’une cinquantaine de jours.

[43] Les tables prévoient l’instant du phénomène « auteur de l’astre » …, à l’heure du méridien d’origine, l’horloge marine permet de transporter cette heure là au lieu de l’observation. Une culmination (méridienne) observée localement permet de remettre à l’heure une pendule locale dont la différence d’heure avec l’horloge de marine est égale à la différence en longitude entre le méridien d’origine et le lieu de l’observation, à raison de 15 degrés d’arc pour une heure de temps.

[44] Les deux derniers voyages de Cook entre de 1772 à 1779 et enfin celui de Lapérouse de 1785 à 1788 où les horloges furent systématiquement surveillées, et utilisées dans la détermination du point pour être comparées aux autres méthodes, et qui s’avéra toujours meilleur.

[45] La Méduse, donc le naufrage fut rendue célèbre par Géricault, ne put en être dotée en 1816, par pénurie à Brest.

[46] In F. Marguet, histoire de la navigation du 15è au 20è siècle. Marguet y semble toujours très pessimiste, ses tableaux sont toujours très noirs.

[47] Faute d’instruments suffisamment précis pour les discerner et les quantifier, encore que Fleurieu, en étudiant les livres de mer, pu utiliser les différences entre point estimé et point observé pour dresser un atlas des courants à la fin du 18è siècle.

[48] Une centaine d’homme pour manœuvrer, en temps de paix, un 40m de 400 tonneaux était un minimum.

[49] Ou à défaut par des jus de citron conservés – sinon ils perdent leur principe actif – dans du whiskey, le brandy de la littérature anglaise, la découverte est fortuite.

[50] La partie mission de la relation du voyage de Lapérouse (tome 1) détaille précisément plusieurs missions à effectuer pour tester des hypothèses de conservation de l’eau dans les tonneaux.

[51] Menacés par des milliers autochtones lors d’une aiguade à l’île de Maouna, il refusa d’ouvrir « préventivement » le feu et fut massacré. Lapérouse, à propos d’une répression, dit je craignis de me tromper sur le choix des victimes, le cri de ma conscience leur sauva la vie, 15 ans exactement après la mort de Marion et la répression de 200 maoris qui s’en suivit.

[52] Les relâches se faisaient dans des îles presque toujours volcaniques, donc dépourvues de fer natif

[53] 1 million d’aiguilles embarquées par Lapérouse (in tome 1 de la relation)

[54] Relation incluse à la fin du tome 1 pour étayer et documenter l’expédition de Lapérouse.

[55] Si des circonstances ... obligeaient jamais le Sieur De La Pérouse à faire usage de la supériorité de ses armes sur celles des peuples sauvages ... il n’ userait de la force qu’ avec la plus grande modération, et punirait avec une extrême rigueur ceux de ses gens qui auraient outrepassé ses ordres. ... s’ il ne peut obtenir l’ amitié des sauvages par les bons traitemens, il cherchera à les contenir par la crainte et les menaces ; mais il ne recourra aux armes qu’ à la dernière extrémité, seulement pour sa défense, et dans les occasions où tout ménagement compromettrait décidément la sûreté des bâtimens et la vie des français dont la conservation lui est confiée.

[56] Retrouver la phrase exacte de Lapérouse après la mort de de Langle dans l’archipel des navigateurs, où il met en balance les « sauvages » massacreurs et les philosophes trop idéalistes.

[57] Ou plus concentré sur la préservation de la vie de l’équipage

[58] In journal de Crozet, et l’émission de France Culture.

[59] p. 256 à 323 du tome 1 de Lapérouse : « relation d’un voyage intéressant de la frégate la Princesse … en 1780 et 1781 »

[60] Journal de Julien Crozet, page 25 de l’édition de 1783

[61] Idem, p. 10 à l’approche de la terre d’Espérance

[62] Tels le Neptune oriental crée par d’Après de Manevillette en 1745 pour l’océan indien, et plus tard le Neptune français pour l’Europe ; de nos jours instructions nautiques.

[63] Lorsqu’au portant on avait viré trop tôt le Cap de Bonne Espérance et qu’il fallait – sur la mauvaise côte, rebrousser au près pendant un mois le chemin perdu en quelques jours de portant précipité, où lorsqu’on ne trouvait pas, ou jamais, la destination visée, …

[64] On se souviendra du rôle incitateur de l’État avec le Longitude Act de 1712 doté du prix maximum de 20 000£ - 100 000£ au total furent distribuées – ou les prix de 100 000 florins par Louis XIV et le Régent, ou encore le prix Rouillé de Meslay (legs de 150 000 livres en 1715) de l’académie, doté à partir de 1720 d’un prix bisannuel de 2000 livres françaises sur des thèmes « ouverts au concours à l’international », et aussi de son rôle d’arbitre et de diffuseur (les académies et académies de marine, le bureau des longitudes, l’observatoire de Greenwich ou de Paris), et encore la réforme difficile des écoles d’hydrographie et des concours d’officiers par Choiseul en 1764, après la guerre de 7 ans.

[65] Elle sera confiée aux officiers lorsqu’il s’agira d’inclure la navigation astronomique, à partir de la mi-18è.

[66] Les pilotes sont depuis Colomb l’objet d’un concert de récrimination à propos de leur incompétence, voir de leur honnêteté. En même temps une expédition au 18è siècle (par ex. celle de Lapérouse) comporte encore de très nombreux pilotes de haute mer (une dizaine dans un équipage de Lapérouse).

[67] En 1635, Wright et Norwood avait mesuré 1866,6 mètres pour la minute d’arc, soit 51 pieds entre les nœuds, distance ramenée à 50 pour tenir compte du glissement. Picard, sur lequel Newton s’était appuyé pour vérifier la loi de la gravitation, trouvait 47 pieds et 6 pouces (15,20 mètres) pour une lieue de 5457 mètres, et donc pour un mille de 1819 mètres. Quantité de pilotes, encore à l’époque de Maurepas retenaient 42 pieds (1540 mètres pour la minute d’arc), au lieu de cette consigne de 47 pieds 6 pouces (in Marguet, chapitre 2), à moins qu’il ne s’agisse de 45 pieds (14,62 m comme aujourd’hui, écrit Marguet)

[68] Ce quart que nous pratiquons encore lorsque nous disons Est ¼ Sud-Est au lieu de 101° 15’.

[69] Parmi les nombreuses pratiques très discutables des pilotes, voir le apocalypse now de Marguet au paragraphe résultat de son chapitre 2. Voir aussi l’hydrographie du Père Fournier dès 1643, ou encore Colomb dans la relation de ses voyages et qui houspille les « pilotes incapables de le ramener là où il les a déjà amené ».

[70] Inventeur des anomalies résiduelles de gravité, celles qui persistent lorsqu’on a compensé la gravité de toutes les causes connues de distorsion. Des navires océanographiques, dont le Marion Dufresne au 21è siècle, mesurent la gravité pour en déduire des cartes d’anomalies de Bouguer, à l’usage de la tectonique des plaques.

[71] Lire la très belle évocation de cette épopée incroyable dans le procès des étoiles de F. Trystram

[72] Ministre de la marine de 1723 à 1749.

[73] Certaines pouvaient avoir quatre positions stables, voir plus

[74] Et sur l’inclinaison (dans le plan vertical) de l’aiguille aimantée, avec l’espérance d’un faisceau de courbes d’égale variation confondu avec celui des latitude et longitude, ce qui d’une part n’est pas du tout le cas et d’autre part concerne un phénomène qui varie assez rapidement au cours des décennies.

[75] Navigation à cap constant, dont la trace sur un globe est une spirale qui se resserre en se rapprochant du pôle. La trace sur la projection du plan de l’équateur est une spirale logarithmique

[76] Ph Bourdon écrit dans sa définition du canevas de Mercator : la carte marine est obtenue par la transformation qui à un point de coordonnées sphériques φ et G fait correspondre un point du plan de coordonnées cartésiennes x et y avec x = -G et y = Log tan(Ï€/4 + φ /2), la quantité Ï€ /4 + φ /2 étant appelée latitude croissante de phi. Voir ailleurs dans cet article pour l’histoire de l’invention de cette quantité latitude croissante

[77] Comme sur nos cartes actuelles du SHOM.

[78] Une erreur de seulement 1 à 2° est la marque d’une observation très soignée, la différence entre longitude observée et longitude estimée atteignant très vite 5° et plus dans les relations de voyage.

[79] Selon la formule de Pagel.

[80] Les erreurs instrumentales sont liées aux défauts de fabrication de l’instrument, certaines sont mesurables et corrigeables à la mer (les perpendicularité et parallélismes des miroirs, les erreurs réductibles), d’autres ne le sont pas (excentricité des axes de rotation, collimation, erreurs irréductibles) mais peuvent l’être à terre lors de l’étalonnage. L’erreur instrumentale résiduelle est donnée pour être inférieure à 1’ (au 18è siècle avec des fabrications soignées ?). Les aberrations optiques (dont l’aberration chromatique) étaient maitrisées au milieu du 18è siècle.

[81] La dépression de l’horizon est liée à l’œil de l’observateur placé – par exemple sur sa passerelle – au dessus de l’horizon, élévation qui lui fait apparaitre l’horizon plus bas qu’il n’est et augmente donc les angles d’une quantité de l’ordre des minutes. On utilise de nos jours la formule simplifiée 1,77 x √ (élévation) et qui donne environ -2,5’ à 2 mètre de hauteur et -9’ à 25 mètres. Cette correction est évacuée par horizon artificiel utilisé au 18è, à terre, sous forme, par exemple, de bain de mercure.

[82] La réfraction astronomique est liée au parcours des rayons lumineux dans l’atmosphère, dont l’indice de réfraction est variable avec l’altitude (la densité de l’air) mais aussi avec sa température et sa pression (mesurées au niveau du sol). C’est évidemment Laplace qui l’emporte ici par sa formule mais des tables, établies à terre par les astronomes, existent au début du 18è siècle avec les corrections de température et de pression. La réfraction porte aussi bien sur l’horizon et aussi sur les astres (réfraction des distances zénithales élevées).

[83] La parallaxe vient de ce que l’observation de hauteur étant faite à la surface de la terre et non en son centre, la hauteur mesurée est diminuée d’une quantité exactement égale au demi-diamètre de la terre vu de l’astre, les tables de mouvement étant produites pour le centre des astres. Elle est liée aux dimensions de la Terre.

[84] Phénomènes qui ont lieu à la même heure en tous les points de la terre où ils sont observables.

[85] Toutes les étoiles sont animées du même mouvement, différent de celui de la Lune d’une part et du Soleil d’autre part.

[86] Le problème à trois corps terre-soleil-lune est chaotique. Le mouvement de la Lune résulte de nombreux mouvements secondaires – certains à période séculaire - qu’il faut évaluer et que Clairaut commença à quantifier dans son mémoire de 1750 ; ce n’est qu’à partir de 1787, avec Laplace qu’on pu passer d’une détermination empirique des coefficients à une détermination spéculative, précise Jean-José Ségéric. Frédéric Marguet, de son coté, voit en Tobie Mayer celui qui, autour de 1755, publia les premières tables précises de la Lune avec des précisions attestées de 1’30" au maximum et le plus souvent meilleures que la minute.

[87] Ces prévisions du mouvement de la Lune sont bien sur publiées dans les almanachs, bretons de nos jours.

[88] Les distance lunaires seront calculées et publiées par le bureau des longitudes jusqu’au alentour de la première guerre mondiale. J’imagine que la théorie resta aux programmes des écoles longtemps encore.

[89] On trouvera le principe de la méthode et l’exemple d’un calcul, effectué vers 1772 par la méthode anglaise, sur http://www.devill.net/Infos/Astro/l... , les figures et le texte complet sont dans l’archive http://www.devill.net/Infos/Astro/L.... J’y joindrai prochainement le canevas de calcul de Borda.

[90] Druyker, lorsqu’il évoque les discussions de Marion avec Pingré lors de l’expédition de 1761 mentionne une précision de 80 lieues soit 4 degrés d’arc, mais pour une méthode faisant appel aux phases de la lune ( ?)

[91] Par le capitaine Thomas Sumner lors d’un atterrissage difficile sur le phare des Smalls, près de Bristol, dans le canal de Saint George le 17 décembre 1837. La méthode est connue en France par les travaux complémentaires de Marcq Saint-Hilaire et sa méthode du point approché, en 1875, dite « droite de hauteur ». Là encore, savourer ce qu’écrivent Marguet et Bourdon.

[92] Histoire du point astronomique en mer, page 235.

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2 Messages de forum

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  • 2 avril 2014 20:14, par yoruk écrire     UP Animateur

    Hé bah... Yves... bravo, çà c’est une somme !!! et bien mise en page :’-))

    Michel

    Répondre à ce message

    • 3 avril 2014 08:21, par Négofol écrire     UP     Ce message répond à ... Animateur

      On peut noter l’importance décisive de l’apparition du chronomètre pour la détermination du point.
      Le premier chronomètre pratique a été construit par un Anglais Harrison en 1761, perfectionné par le français Le Roy, qui invente en 1766 le ressort spiral isochrone et le balancier compensateur et Berthoud (un Suisse travaillant en France en fait) qui construit de nombreux chronomètres à partir de 1767.
      Le chronomètre n° 8 de Berthoud montrera une variation de 53 secondes en un an de mer sur le Flore en 1772 ! C’est déjà la performance maximale atteinte par les chronomètres mécaniques jusqu’à l’apparition du Quartz...
      A noter que pour le voyage de la Pérouse débuté en 1785, les Anglais lui ont fourni un des chronomètres utilisés par Cook, alors que la Pérouse avait commandé l’expédition contre les comptoirs anglais de la Baie d’Hudson en 1782, « pour l’avancement de la connaissance ». On avait des manières, à l’époque !
      La navigation astronomique au chronomètre ne se généralisera que dans la seconde moitié du XIXème siècle, avec l’apparition de la droite de hauteur, publiée par Sumner en 1843.

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