Utilisation d’un logiciel de routage : retour d’expérience
Cela fait un mois que je suis parti de Licata en Sicile et je me trouve actuellement en Nord Egée. J’ai parcouru environ 1000 milles, en utilisant autant que faire se peut, le logiciel de routage Sailgrib sur Android.
Il ne s’agit pas de savoir utiliser Sailgrib, l’article dans PTP est là pour ça voir le lien ICI
L’objectif de ce document est de partager mon expérience et de savoir si ses fonctionnalités nous apportent une aide efficace dans nos navigations.
Conditions de l’expérience
Ce n’est qu’un retour d’expérience, et il faut préciser les conditions de cette expérience :
- Le logiciel utilisé est Sailgrib sur Android (mais je pense que l’expérience serait valable avec d’autres logiciels)
- Le bateau est un Oceanis 40
- Tout s’est passé en Méditerranée entre le 21/05 et le 21/06
- Je navigue seul (c’est important)
Ce que j’ai compris du fonctionnement du routage
- En dehors de la route à faire, le logiciel utilise fondamentalement deux paramètres
- Les prévisions météo
- Les polaires du bateau
Bien sur d’autres paramètres permettent d’affiner le fonctionnement du logiciel, le lieu, c’est-à-dire le trait de côte, les paramètres personnels, comme l’utilisation ou non du moteur, le niveau d’adéquation des polaires (la nuit, le jour, etc.), le temps de virement de bord et la pénalisation qui s’ensuit, etc.
Mais la tactique reste définie par les deux paramètres principaux. L’objectif du logiciel est d’optimiser le temps du parcours entre deux points, en fonction de ces deux paramètres.
C’est-à-dire, qu’il va placer le bateau dans les meilleures conditions de vitesse prévues par les polaires. Par exemple, mon bateau est plus performant au portant vers 120° du vent : il va donc chercher la trajectoire optimum pour toujours être à 120° du vent. L’exemple ci-dessous est caractéristique.
Exemple : Traversée Sicile – Péloponnèse
(copie d’écran Scannav, après chargement par Bluetooth d’un fichier GPX de la route proposée par Sailgrib : les échanges entre différents logiciels et Sailgrib sont excellents)
- En bleu, la route directe, en noir la route proposée, chaque drapeau représentant les points de changement de cap.
- La route directe fait 317 milles, la route proposée fait 30 milles de plus. Pourquoi pas, si on arrive plus vite.
- Le problème est que cette route me faisait commencer par 35 milles au moteur à 60° de la route pour atteindre la zone où les prévisions de vent devenaient favorables, et ensuite, à la fin encore 40 milles au moteur (normal, plus de vent).
Je n’ai pas suivi cette route, car au départ, j’avais du vent assez favorable pour la route directe, et j’ai préféré suivre à peu près la route directe. Ai-je bien fait, je ne sais pas, (il aurait fallu avoir un deuxième bateau), mais j’ai mis 323 milles, 70 heures réels au lieu de 62 (hypothétiques), fait 8 heures de moteur en plus.
- La donnée importante à préciser, qui m’a fait prendre cette décision, est qu’au départ, au cap proposé, une houle d’environ 1m de face, reste d’un 5bf de nord de la veille était extrêmement pénalisante pour la vitesse au moteur et très inconfortable.
- Une autre donnée, est que cette route au départ se trouve dans une route commerciale assez importante pour les cargos qui remontent par le détroit de Messine, et que je préfère ne pas traîner dans ces routes, à surveiller constamment les trajectoires des cargos.
Examen critique
Les prévisions météo
Premier gros problème en Méditerranée, les prévisions météo ne coïncident pas exactement à la réalité. Tout va bien (si j’ose dire) quand elles annoncent du meltem à 25-30 nds, on peut s’y fier (et rester au port sans besoin de routage ).
- Mais dans les périodes plus calmes, les conditions réelles peuvent être différentes des prévisions et peuvent changer (parfois plusieurs fois dans la journée).
- Près des côtes, et en été, les thermiques sont importantes, et les prévisions, même celles à mailles fines comme Arpège ou Skiron, ne les détectent pas (ou rarement). Windguru le fait, mais ne fournit pas de fichiers grib
- Il est donc difficile pour tracer une route de plus de 10 heures de prendre pour argent comptant ce qu’annonce les prévisions.
- D’autant plus qu’elles peuvent varier en fonction du modèle. Par exemple, en ce moment (22/06, 11h00 locale), entre Thassos et la Chalcidique, le modèle Arpège (météo France) donnait 19 nds de NE, mais le modèle GFS, 13 nds de NNE. Pas une très grande différence, mais elle est importante pour le logiciel de routage, 15° degrés et 5 nds d’écart, cela fait une grande différence de vitesse. Surtout qu’en réalité, j’ai 8 nds de ENE.
- Le temps d’écrire le paragraphe suivant, le vent vient de basculer NW 15 nds. Prévisible et logique, j’approche du mont Athos, (même cas que pour le cap Maleas ci-dessus) mais aucune prévision ne l’indiquait, et Sailgrib ne pouvait en tenir compte.
Sailgrib, permet de choisir un type de prévision, mais au départ, laquelle choisir ?
Une autre remarque. En navigation côtière, nous savons tous que le vent près de la côte est souvent différent de celui plus au large. Sailgrib tire systématiquement vers la côte : les prévisions ne font pas de différence, et Sailgrib tire au plus court.
Attention, je ne dis pas que les prévisions sont mauvaises, et jusque-là, je m’en contentais. Jusque-là, trouver un NNE à 8 nds, alors qu’il était prévu un NE à 10, ça m’allait très bien. Mais pour le routage, c’est la différence entre un louvoyage à 4 nds et une route directe au près à 6. Cela change tout. Sailgrib va nous emmener dans la zone où le vent est à 10 nds, mais patatras, on se trouve à tirer des bords à 4 nds. (deux fois la route, 3 fois le temps, comme dit le vieil adage)
La mer
Sailgrib (et les autres) ne tient pas compte de l’état de la mer. Et pourtant, une houle de face de 1m avec un vent faible trois-quart arrière, cela fait une belle différence en termes de vitesse. Et en Méditerranée, avec la succession de meltem, puis de vents modérés, la situation n’a rien d’exceptionnel.
En termes de confort, également, c’est assez important. Personnellement, quitte à arriver plus tard, je préfère faire 5 milles de plus sans être ballotté pendant 5 heures. Au près même chose, je préfère prendre un ris et parfois diminuer ma vitesse, mais ne pas être trop gîté, même si le bateau le supporterait (mais pas l’équipage). C’est clair que Sailgrib ne peut prendre en compte ces paramètres.
Les polaires
Deuxième difficulté, définir sa polaire, c’est-à-dire la vitesse du bateau à toutes les conditions de vent et d’allures. Et ce n’est pas gagné. Celles fournies par l’architecte, quand on peut les obtenir sont des polaires théoriques, en fait l’idéal à atteindre. Bien sûr, ces vitesses théoriques sont inaccessibles pour des plaisanciers moyens, avec des compétences moyennes, des voiles moyennes, et au moins une à deux tonnes de matériel supplémentaires, pleins de fuel, d’eau, 100m de chaîne, etc. qui plus est mal réparti. Sailgrib permet de donner un coefficient de pondération (-80% par exemple) pour coller un peu mieux à la réalité. Ce n’est pas satisfaisant, car, en ce qui me concerne, je respecte mieux les polaires au près, qu’au portant. 5° d’écart au portant sont plus discriminant qu’au près et les réglages sont plus « subtils ». Et suivant mon humeur, je vais plus ou moins me « battre » pour aller le plus vite possible. En plus je marche mieux tribord amures que bâbord (tous les bateaux que j’ai connu avaient un coté préféré)
On trouve des logiciels (Polauto, par exemple) qui permettent de calculer une polaire, en lui donnant toutes les informations vitesse, force du vent, angle du vent. Mais il est difficile sinon impossible, sauf après de très longues navigations par tous les temps, de mesurer toutes les conditions de vents et d’allure.
Autre difficulté, sans doute à ma condition de solitaire, les choses étant peut-être différentes en équipage (compétent).
Il ne s’agit pas seulement de faire 7 nds à 120° d’un vent de 15 nds, il s’agit de les faire pendant 10 heures ou plus. Et même en régate, c’est difficile.
Il m’est impossible de respecter les polaires pendant 10 heures de navigation. Il faudrait être pratiquement constamment sur le pont pour régler les voiles, (et j’ai d’autres choses à faire, comme écrire des articles pour PTP ).
Conclusion
Ce logiciel est un formidable outil, et avant de naviguer, j’avais fait beaucoup d’essais … à terre et l’avait trouvé très intéressant et prometteur
Mais, en navigation, je n’ai pas trouvé ses fonctionnalités vraiment « utilisables ». Je le répète, les conditions sont particulières :
- Je navigue seul
- La Méditerranée est changeante et les prévisions difficiles
- Je suis plaisancier, c’est-à-dire que je privilégie le confort à la vitesse
Les conditions en Atlantique et en Manche sont différentes, j’y ai navigué : les marées et les courants sont prépondérantes, la météo est plus stable, mieux maîtrisée. Dans cette zone, Sailgrib doit être une aide importante. Mais en Méditerranée, il devient beaucoup moins efficace.
Je vais continuer à utiliser Sailgrib, pour voir « ce qu’il en pense », mais je vais continuer à faire mes choix de route, en fonction de mon expérience, et de ce que je pense être mon « sens marin ».
Robert s/y Lysigée