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Publié Février 2018, (màj Février 2018) par : Collectif Salacia |
NDLR merci à “Kerdubon” capitaine, marin, conteur et explorateur...
Le magot de La Fontaine prit le Pirée pour un homme affirmant au dauphin… vert qui le transportait que celui-ci était son ami ! Ce n’est pas notre cas ! Même si un pacha de paquebot de ma compagnie étoilée, tombé fou, portait le point sur la carte en utilisant les affirmations de son pendule... son alliance au bout d’un fil, nous savions lever le coude avec un sextant, tout aussi bien qu’un verre et nous ne prenions pas des vessies pour des lanternes. Si le capitaine Haddock constata que le point calculé par Tintin mettait son cargo dans le chœur de la basilique Saint-Pierre de Rome, aucun lieutenant ou second plaça le bâtiment de son tonton dans le port du Pirée, sauf en escale grecque !
Cependant, j’imagine qu’aucun d’entre-nous a fait un point d’étoile en utilisant unes des quatre principales étoiles de la constellation du dauphin. Elles sont disposées un peu au-dessus de l’équateur céleste en forme de losange avec sa grande diagonale orientée est/ouest, perpendiculaire à l’alignement des trois étoiles de la lyre, dont par contre nous utilisions Véga…. Véga scintille d’éclats verts comme Sirius et d’autres. Nous n’avions donc pas affaire à la constellation du dauphin… vert… qui danse dans notre lunette lorsque l’océan est agité !… C’est juste pour dire... et à vrai dire… n’importe quoi !
Par contre, je ne vous dirai pas comment charmé par la lyre du poète musicien Arion, d’après lui, un dauphin vert sauva sa vie, lorsqu’il tomba à l’eau, alors qu’il allait de Lesbos en Italie où il fonda Tarente. Nous savons que les delphinidés de tous temps ont aidé à leur manière les gens de la côte et les marins en particulier
Ce n’est pas pour cela que les fils aînés de nos rois de France avaient le titre de « dauphin », même s’ils ne savaient pas nager ! Toutefois certains eurent… le dos… un peu vert de maquereaux couronnés… ceci d’après d’autres légendes plus ou moins historiques transmises par les “menteux” de service aux écritoires…. Bref en fait tout cela est du passé !
Il reste que dans les légendes de la Normandie, les marins d’Honfleur pêchaient les maquereaux que leur envoyaient un dauphin vert. Depuis, dans cette cité maritime, il y a la rue du dauphin vert !… Au bals de campagne après les fenaisons, avant les orages d’automne, les filles et les gars d’Honfleur dansaient… la danse du dauphin vert m’a dit mon grand-père dont les aïeux partirent aux Amériques avec Samuel Champlain pour fonder Québec. Il paraîtrait que l’un d’eux ramena un fils métis d’une femme peau rouge… s’il m’arrive d’avoir des rougeurs, ce n’est pas de honte mais parce que le calva est parfois… un peu fort ! Par ailleurs, dans une île Anglo-Normande que nous ont volé les Gotons, Elisabeth Goodge fit résider précisément et nommément « rue du dauphin vert » William son héros. Le film avec Lana Turner se nomme d’ailleurs « Green dolphin streeet »… Alors que personne de mes amis ne conteste l’existence de ces dauphins… verts !… Et lorsqu’un dauphin vert rencontre d’autres dauphins verts… ils dansent à la surface de la mer jolie… la danse du dauphin vert !… Au fait c’est là que je voulais vous amener. Vous savez bien que je suis un “menteux”… non pas un menteur
“Casa Négro” pour les anciens géographes... est la capitale du Sultanat du Baroque. Cet état devenu indépendant est coincé par l’Atlantique à l’Ouest, les grands erg caillouteux et sablonneux à l’Est, le Royaume du Maroc au Nord et la Mauritanie au Sud. C’est également l’unique et grand port ouvert sur le monde en général et le large en particulier. Le Sultanat y arme une flotte de cargos
Lorsqu’il cherchait des casquettes pour diriger ses bâtiments, je fus l’un des “Faranis” (Français) accueilli chaleureusement, pendant quelques années, puis viré presque honteusement après dix années de service, lorsqu’un de nos amiraux qui avait probablement une retraite trop maigre… tout le monde ne partant pas avec un parachute doré… ouvrit une fabrique d’officiers sortant de ses ateliers ou cuisines… si l’on préfère… quelques dizaines de Capitaines chaque année. C’est une autre histoire sans intérêt !
Donc à Dar Sawda je venais en escale pratiquement tous les deux ou trois mois. J’adorais cette ville et ses habitants. Je m’y sentais à l’aise et j’y avais beaucoup d’amis, que ce soit chez des natifs ou de rares Français restés après l’indépendance et devenus officiellement Barroquins pour la plupart. J’y avais également certaines habitudes. Ainsi, comme la cuisine du bord ne fonctionnait pas les jours d’escale au port d’armement, j’allais assez souvent au restaurant, bien entendu avec madame Kerdubon et mon chien qui naviguaient avec moi. Nous étions attendus par le personnel car un petit bakchich laissé avec le règlement de l’ardoise a toujours fait du bien, à ceux qui débarrassent et nettoient les tables
A la porte principale du port de commerce entouré de grilles et murailles pour être mieux surveillé par la gabelle et la flicaille, la rue de droite parallèle à ce port, menait en pente douce au port de pêche. Dans cette ville où les chiens errants ne hantent pas les rues, mon cadore était connu comme le loup blanc, beaucoup de marins pêcheurs et autre clients de la criée me saluaient avec sympathie au passage, d’autant plus que j’en connaissais un bon nombre. Tout au bout, directement contre la criée, il y avait le « Restaurant du port », le poisson servi y frétillait encore dans les assiettes ! Si je n’allais pas y prendre place car la foule s’y précipitait et le bruit résultant considérable, je remontais alors une petite ruelle et j’allais … au « Dauphin vert ».
C’était un restaurant plus modeste et surtout plus calme. La patronne Française de naissance qui trônait à la caisse était l’épouse du cuisinier en chef, un Barroquin qu’on ne voyait jamais, car aux heures des repas, son affairement derrière ses marmitons et leurs fourneaux ne lui laissait pas le temps des saluer sa clientèle malgré tout fort nombreuse.
Avec madame Kerdubon, à peine assis à la même place, comme si le garçon nous la réservait systématiquement, nous commencions par nous rafraîchir avec un petit verre de Ksar. un délicieux blanc, que nous servait l’employé, sous le regard attentif de la patronne qui veillait à ce qu’aucune goutte ne tombe sur la nappe de papier. La route sous la cagna pour venir du quai nous avait desséché le palais. Je ne vous parlerai pas du menu sidérant dont le poisson était roi, ni de la note qui n’était pas du tout salée
Chaque année, la période du Ramadan devenait de plus en plus… intégriste. A la fin de ma carrière au Sultanat s’il était interdit de vendre de l’alcool à un musulman toute l’année et depuis quelque temps, en période de ramadan, le shrab (le vin), cette « boisson maudite » comme écrivit un pisse copie dans un grand article du quotidien barroquin tellement bien pensant, qu’il était pratiquement le seul à paraître, fut interdit même pour les non-musulmans, particulièrement dans les restaurants.
Je n’irai pas critiquer les us et coutumes des uns et des autres, comme je disais à un protestataire : « Si nous ne sommes pas satisfaits… on s’en va !… Et tant que madame Kerdubon ne sera pas obligée de voiler sa tignasse ou son visage et que mon chien n’aura pas besoin d’être circoncis ni porter culotte… on verra bien !
Arrivant à Dar Sawda peu après la publication du dahir (édit) en plein ramadan, j’attendis le coup de canon signifiant la rupture du jeûne au coucher du soleil,pour me rendre au « Dauphin vert »…
La brave dame patronne de la caisse et du restaurant, ainsi que les garçons, furent heureux de me revoir selon leur habitude. Le serveur nous apporta à madame et moi-même… une bouteille de citronade et deux verres ! Peu après il revint avec… deux boites de coca-cola et des pailles.
J’avais été prévenu de la ponte du Sultan, par les autorités portuaires apparemment réjouies, de l’interdiction tombée du Palais comme un cheveu dans ma soupe, lorsqu’elles étaient venues à bord chercher leurs papiers signés et… une cartouche de Marlboro avec… une bouteille de whisky s.v.p !
Donc assis en silence nous étions pour le moins étonnés. Même mon chien qui ne bronchait pas d’habitude en attendant une gamelle de restes de mouton, émit un petit gémissement de pitié, en voyant ce qui nous était servi.
Je me suis tourné vers la patronne qui me fit le signe caractéristique du poing fermé avec le pouce pointé vers sa bouche comme un goulot vers l’entonnoir stomacal. Le serveur d’autorité remplit nos deux verres avec la citronnade. Ce ne fut pas le miracle de l’eau changée en vin, mais celui du soda changé en Ksar blanc et gouleyant ! De même le coca misérable devint du vin rouge de grande qualité lorsqu’on aspirait avec la paille.
En partant j’allai à la caisse pour dire merci. La patronne mit un doigt sur ses lèvres et me dit…
En 2012, n’ayant jamais commandé de paquebots, madame Kerdubon me proposa d’améliorer mes connaissances. Bien sûr il était hors de question que j’aille sauter sur le ventre d’un collègue richement orné de galons d’or, pour prendre sa place hautement méritée par la qualité de ses ronds de jambe, d’autant plus que je ne suis même plus capable de commander « un p’tit noir » dans un bistrot, la caféine m’étant déconseillée par la faculté de médecine. Nous avons acheté deux tickets de “vulgaris passagers”.
Croyez-moi si vois voulez... un “menteux” peut dire ce qu’il veut... c’est sur le « Concordia » que nous avons embarqué pour une croisière ! Evidemment à bord, l’une des choses que j’ai demandé fut de visiter la passerelle !
“Une visite sera organisée cher Monsieur… ce sera 75 euros par personne !”… me répondit la charmante hôtesse qui rêvait du beau « Gigi » commandant du navire… et considérait avec raison comme de la crotte de bique le vieux “schnock” que j’étais. Lorsque le « Concordia » se planta et se déchira sur un caillou, j’avais regagné mes pénates, il n’y eut aucun dauphin vert pour empêcher la noyade de pauvres gens prisonniers d’un cercueil d’acier que l’eau envahit.
Mais revenons à cette croisière fort agréable puisque madame Kerdubon et votre serviteur firent leur pèlerinage en autonomes (c’est à dire sans participer aux excursions organisées) dans des lieux qu’ils avaient aimé… notamment à Dar Sawda.
Faisant fi des nouveautés modernes, entre la médina et le port de commerce, dans la rue toujours en pente, nous nous sommes rendus aux environs de midi au « Dauphin vert » qui n’avait pas changé d’aspect extérieurement. Nous y avons été accueillis dans un intérieur peu changé, peut-être repeint, mais toujours aussi frais. A l’emplacement de jadis, la table qui était peut-être la même sous sa nappe de papier était libre. Le menu identique à celui d’il y avait quarante années et toujours aussi bon. Le garçon nous apporta l’addition toujours aussi raisonnable. Je lui demandai :
En repartant vers les cuisines, il dit quelques mots au vieillard encore bien vert qui tenait la caisse et celui-ci nous fit signe d’approcher tandis que nous allions partir.
Mon service militaire fut un autre genre de vie que je ne conterai pas ici. Sachez qu’à un moment donné, je me suis retrouvé sur un patrouilleur côtier servant aux essais de torpilles fabriquées à l’usine de Cogolin dans le Golfe de Saint-Tropez.
Un beau jour, notre fier bâtiment faisait route sur une mer d’huile. Une poignée de dauphins jouaient avec la vague d’étrave.
L’officier en second était un « héros » qui s’était distingué en Algérie et avait gagné ainsi son petit galon « d’officier des équipages ». Il n’était pas assez développé du côté cérébral pour obtenir son second galon qui l’aurait fait appeler « lieutenant » Par l’échelle ce côté, il se hissa dans la baignoire et salua bien correctement notre pacha. Simple timonier j’étais jumelles en main, surveillant l’arrivée possible de… la flotte Russe… par exemple !
Outré, le Pacha se caressai négligemment le menton en me jetant un regard en coin, navré aurait-on dit, qu’il y eut de tels imbéciles dans sa corporation. Je me tenais coi… comme si je n’avais pas entendu une telle ineptie.
Notre pacha était un officier des équipages à quatre galons. Il n’avait pas été formaté par l’école navale pour devenir amiral !… D’un âge déjà avancé, ancien « pilote de la flotte », il avait son bâton de maréchal avec le commandement de ce navire. C’était un homme remarquable pour ses qualités nautiques et humaines. Il étant indulgent et sympathique, aimant ses hommes et les défendant tout le temps. Il empêcha même le coup de fusil ordonné par l’amirauté, qui allait faire fusiller le chien du bord… lequel avait mordu des flics maritimes qui montaient la coupée sans l’aval du matelot gardien. Je crachais dans la soupe du système et refusais de collaborer, mais je respectais évidemment et assistais de mon mieux, ceux qui respectaient la danse du dauphin vert !
A la descente vers la Côte Occidentale d’Afrique, l’escale était relativement courte à Dakar. Par contre lors d’un retour vers l’Europe, nous avions trois mille tonnes d’arachides en sacs à charger, n’étant pas de service, j’avais le temps de me balader.
Le matin, après un tour au marché si pittoresque pour un exote, j’ai décidé qu’après une vague restauration rapide a midi, j’irais faire un tour dans l’île de Gorée qui m’intriguait tant.
Située à quelques encablures du port, avec les cargos, nous longions cette île à quelques centaines de mètres. Je savais que l’administration coloniale de l’époque envisageait une grande restauration des bâtiments et du centre de détention des esclaves qui jadis y attendaient leur embarquement pour les colonies, dans des conditions honteuses et souvent dramatiques…. Peut-être pour en faire un nouveau bagne… qui sait ?… craignaient des indigènes de la ville qui m’en avaient parlé et n’aimaient pas cet endroit tellement… chargé !
J’ai grimpé dans une pirogue équipée d’un moteur hors-bord sur l’invitation d’un pêcheur qui n’avait pas envie d’aller mouiller des filets ou des lignes.
En fait, les bâtiments ayant logé les esclaves, s’ils dataient des tout débuts de la colonisation étaient assez bien conservés. La restauration ne serait donc pas trop onéreuse pour ceux qui payent des impôts ! J’ai visité le « musée des esclaves » en cours de développement et d’installation.
Manifestement des volontaires noirs et blancs responsables et cultivés étaient heureux de voir… un visiteur s’intéressant peut-être à leur passé et semblaient ne pas manquer d’ardeur à défaut du nerf de la guerre. Je fus bien accueilli.
Tandis que j’errais dans des sortes de caves basses de plafond, humides comme des cachots ou oubliettes du moyen âge, le vent d’un courant d’air siffla bizarrement. On aurait cru entendre des gémissements. Ils me rappelaient les souffrances des milliers d’esclaves entassés là, qui maudissaient le jour de leur naissance et la trahison de leurs rois nègres… qui les avaient vendus !
Je me suis échappé rapidement pour aller respirer de l’air libre et prendre un bain sur la petite plage avant de rejoindre la pirogue qui me ramènerait au port.
Tandis que je me prélassais dans l’eau tiède, mon nez qui commençait à rougir sous l’effet du soleil, frémit en humant une odeur de fleurs et plantes tropicales. On pouvait voir notamment d’immenses brassées de bougainvilliers qui s’accrochaient aux murs des propriétés jouxtant le bâtiments des esclaves.
Un bruyant éclaboussement se produisit non loin de moi. Un requin pensais-je en regagnant plus que rapidement le sable brûlant. Il y avait bien comme un aileron sur l’eau un peu plus loin. Le monstre jaillit hors de l’eau et j’ai pu constater que c’était un gentil dauphin qui devait… chasser ses puces en bondissant et retombant avec une claque magistrale. ! A contre jour, il me paraissait verdâtre…. C’était manifestement un dauphin vert !
Il y avait aussi un autre passager en notre compagnie pour le retour sur Dakar. C’était un vieillard édenté au boubou blanc, immaculé. Celui-ci m’adressa la parole, en criant fort pour couvrir les pétarades du moteur :
Comme nous franchissions les grandes jetées, le dauphin aux reflets verdâtres vint nous dire au revoir à sa façon. Son œil rigolard cligna pour souligner sa bonne blague, car il sauta si haut qu’on en revenait pas, pour retomber à ras du canotte et nous éclabousser copieusement !
Assis sur les dalles grossières du quai, il y a un gamin les jambes pendantes au dessus des eaux noires du bassin où se reflètent les maisons étroites et serrées les unes contre les autres, avec leurs façades protégées des intempéries par des ardoises plus sombres que le ciel d’hiver. Entre deux barques de pêche, il jette des cailloux qu’il extrait de ses poches. Les ondes s’éloignent de l’impact en soulevant quelques feuilles mortes qu’un vent de noroît a apportées des collines qui encadrent la ville. Parfois, un mulet égaré fait des bonds comme pour chercher de l’air pur… à moins qu’il ne gobe un insecte volant au ras des eaux.
A la sortie de la guerre, et jusque dans les années 50 bien entamées, ce bassin était rempli de vase, de joncs et autres verdures marécageuses. Les Honfleurais y avaient mis à paître… une vache en carton pâte, ce qui amusait les enfants.
Pendant les quatre années où il pleuvait du fer parfois rouge, aucune chasse ou dragage n’était intervenu, l’occupant allemand se méfiant des indigènes qui auraient pu y accueillir… la flotte anglaise. La « Lieutenance » dont on ne sait plus l’âge de sa construction, contrôlait toujours l’entrée et la sortie des goélands venus en quête de quelques ordures que les riverains ne pouvaient s’empêcher de jeter la nuit tombée. Il paraît que certains y vidaient également leurs seaux hygiéniques.
A présent, le dragage a été effectué depuis quelques décennies. On en a fait un bassin pour les yachts, malgré quelques petits pêcheurs qui s’y accostent. Les marchands de souvenirs et quelques galeries de peintures artistiques exposant de pâles inspirations des grands peintres de l’estuaire de la fin du siècle précédent, remplacent les anciennes boutiques d’articles de pêche, d’accastillage et autres bazars maritimes.
Le gamin a posé son cartable à côté de lui, les « devoirs du soir » seront remis… à demain, n’est-on pas la veille du jeudi sacré des écoliers ?... Il chante une sorte de comptine mélancolique, égrenant les vers à chaque pierre lancée et qui parfois fait des ricochets.
Kerdubon