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Voile latine, selon Jules Vence 19 novembre 2017 15:37, par NégofolSuite à une question, quelques réflexions complémentaires sur la réduction de voilure, que j’ai pu faire rétrospectivement suite à cette expérience : la voile latine traditionnelle se comporte en fait assez différemment des gréements actuels.
En effet, la partie basse de l’antenne (le quart) est assez rigide. Sa position dans l’espace est bien définie : l’extrémité basse est maintenue par le palan d’avant et l’orse-poupe et le point de drisse est appliqué contre le mât par la drosse qui est souquée. La partie supérieure (la penne) est par contre souple et libre.
Dans une survente, la penne va se cintrer et ainsi aplatir puis déventer la partie supérieure de la voile, ce qui soulage le bateau.
C’est en fait exactement le comportement d’un mât de planche à voile et proche de ce qu’on obtenait en dériveur en jouant sur le cintrage du mât.
Ceci permet de négocier une survente temporaire en jouant sur ce phénomène et en choquant un peu l’écoute.
De plus, les anciens maître-voiliers qui maîtrisaient ce type de voile avaient développé un tracé particulier de la bande de ris : au lieu, comme sur une voile classique d’être parallèle à l’antenne, la bande de ris était triangulaire, étroite à la base et beaucoup plus large en haut, ce qui permettait de limiter la remontée de la voile qui aurait été inévitable du fait de la forme du plan de voilure. Ce phénomène aggraverait le fait que la bordure des voiles traditionnelles était échancrée au milieu pour laisser plus de place sous la voile si on utilisait les avirons en même temps. Avec ce tracé, l’ensemble de la voilure est abaissé par diminution de l’angle d’apiquage de l’antenne. J’avais même remarqué que sur la voile que nous utilisions, le maître-voiler avait tracé une ligne de garcettes subtilement courbe qui corrigeait le cintrage de la penne et aplatissait ainsi la voile…
Plutôt futés, les anciens….
Je reviendrai plus loin sur la marche à l’aviron.
Pour terminer sur la prise de ris, les voiles que j’ai vues avaient une seule bande de ris (mais des gravures d’époque de bateaux plus gros montrent plusieurs bandes de ris). S’il fallait réduire encore, il était préférable de remplacer la mestre par un trinquet plus petit. On m’a raconté que, à l’époque de la voile reine, certains bateaux emmenaient de plus une autre voile de taille encore plus réduite.
Cette opération est assez simple et sûre : la voile est amenée et l’antenne se place naturellement en biais, le bas du quart à bâbord de l’étrave (si la voile est envoyée à tribord), le point de drisse contre le mât et la penne vient se poser dans une fourche qui s’emboîte dans le plat-bord à tribord arrière. L’antenne ainsi fixée donne un point d’appui sécurisant à l’équipage pendant la manœuvre, sur un bateau qui en était totalement dépourvu (ni haubans ni filières). Pour remplacer la voile, il suffit de larguer les bosses haute et basse et les garcettes, puis d’enverguer la nouvelle voile. Pas beaucoup plus difficile que de remplacer un foc.
Il faut d’ailleurs noter que ce type de bateau, large et plat, peu lesté (15-20 % ?) à l’intérieur et muni de quilles faisant fonction de quilles de roulis et d’un mât très court et léger avait des mouvements voile amenée beaucoup plus doux que les voiliers de plaisance actuels avec leur lest profond et l’inertie importante de leur haute mature.
La manœuvre était en fait assez rare dans mon expérience : les marins-pêcheurs qui pratiquaient exclusivement la pêche côtière à quelques milles du port, savaient prévoir le temps et préparaient la voilure adéquate avant leur sortie (ou restaient au bistrot à jouer à la manille si les prévisions étaient mauvaises). Il faut noter de plus que les quelques pêcheurs survivants utilisaient pas mal leur moteur et se limitaient souvent au seul trinquet, suffisant pour la pêche à la traîne qui était le seul moment de navigation à la voile seule. Les bateaux plus gros pratiquant des pêches plus ambitieuses étaient déjà totalement passés au moteur à cette époque dans mon coin (1960-62). Notre bateau était l’un des deux armés en pêche-promenade et qui pratiquaient encore la navigation « à l’ancienne ». En réfléchissant, je viens de réaliser que le vieux monsieur qui m’apprenait tout ça était plus jeune que moi aujourd’hui…
Pour finir dans la nostalgie, les bateaux utilisaient traditionnellement des avirons pour se déhaler.
Une barque de la taille envisagée aurait utilisé deux paires d’avirons, mais il n’y en avait qu’une à bord après l’arrivée du moteur.
Ces avirons étaient d’un modèle inhabituel pour des plaisanciers du Ponant : construits sur le modèle des avirons de galère, ils étaient très longs (environ 5 m) et construits avec un manche très gros à l’intérieur (carré, environ 15 cm x 15 cm). Ceci équilibrait à peu près les avirons au niveau du tolet (erseau et tolet seulement, jamais vu de dame de nage), ce qui les rendait maniables malgré leur taille. Ceci avait l’avantage supplémentaire de ne pas risquer de perdre les avirons qui ne pouvaient pas se dépasser de l’erseau si on devait les lâcher.
La nage à l’aviron se pratiquait debout, en ouvrant les panneaux centraux et les jambes dans la cale. Lors des manœuvres de port, on nageait d’ailleurs face à l’avant, solution largement utilisée d’ailleurs en Méditerranée et Adriatique. J’ai essayé quelques fois par curiosité et ça marche pas mal…
Dernier point pour se différencier des Bretons : personne n’avait jamais entendu parler de godille….