Pratiques et Techniques en Plaisance
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Les aciers inoxydables et la mer
jeudi, 5 mars 2015
/ Négofol / Ingénieur de l’Armement, Cadre dans l’industrie, Retraité.... |
Cet article est une synthèse des réponses apportées sur le forum à diverses questions de pratiquants.
Le domaine des aciers inoxydables est très vaste et très complexe et cet article ne prétend pas être exhaustif mais se concentrer sur les problèmes couramment rencontrés en plaisance.
L’intérêt pour une amélioration de la tenue à la corrosion des aciers est très ancien, particulièrement chez les militaires (marins, mais aussi cavalerie et infanterie pour les armes) et les ménagères (coutellerie).
C’est un Français, Pierre Berthier, qui a remarqué en 1821 que les alliages fer-chrome résistaient à la corrosion, mais les produits obtenus au XIXème siècle étaient trop fragiles pour être utilisables, du fait de l’action néfaste du carbone qu’on ne savait pas éliminer.
Les premiers inox martensitiques sont développés en Angleterre (Brearley 1912) pour les canons d’armes (les amorçages des cartouches de l’époque étaient corrosifs et déposaient des chlorures dans le canon, d’où entretien contraignant) et la coutellerie (acier Staybrite, aux USA : stainless). En 1924, Hatfield, successeur de Brearley chez Brown-Firth, crée le 18/8 qui va devenir l’inox le plus courant.
En fait, un acier inoxydable est protégé de la corrosion par un film superficiel d’oxyde de chrome formé avec l’oxygène du milieu ambiant.
Depuis la recherche n’a pas cessé…
Il existe littéralement des centaines d’aciers inox différents, souvent désignés par une dénomination commerciale propre à un fabricant (ex : Uginox chez Arcelor). Pour s’y retrouver il faut impérativement se référer à la nuance, soit américaine AISI (ex : 316L) ou ISO (formule simplifiée : ex : X2CrNiMo18-10 et une référence : 1.4404).
Les nuances couramment rencontrées en plaisance sont :
Le 318LN (Chez ARCELOR = Uranus 45N) est magnétique, contrairement aux autres... : la recommandation du vieux marin sur le banc de la jetée qui prétend qu’on reconnait un bon inox au fait qu’il n’est pas magnétique est fausse : le 318LN est de loin le meilleur de la liste !
Par contre, il est vrai que les aciers du type X8Cr17 (AISI 430 ou F18) : C : 0,08 %, Cr : 16-18 %, sans nickel, utilisés pour les articles de ménage, l’électroménager ou les éviers de bas de gamme sont magnétiques et pas du tout adaptés à un usage marin.
On peut noter que pour les applications difficiles, les aciers 304, 304L, 316 et même 316 L ne sont pas considérés par les gourous de la corrosion comme résistants à l’eau de mer...
Ci-contre petit document de récapitulation sur les inox reprenant ces notions. |
Seuls les 318LN et d’autres encore plus exotiques y sont considérés comme adaptés à l’immersion permanente (tenue aux piqûres) ! (bon, c’est pour le nucléaire...). On peut trouver aussi parfois de l’acier X2CrNiMoN17-13-5 (AISI317 LN), très utilisé dans l’offshore et les usines de dessalement.
En pratique, il convient de privilégier la nuance AISI 316 et en particulier le 316L.
On trouve souvent dans le commerce de la visserie inox indiquant la classe sous la forme de la norme ISO 3506 :
Dans cette liste A signifie austénitique et le chiffre indique la classe. On peut trouver pour de la boulonnerie une indication de la résistance : A4-70 signifie acier 316 et résistance 70 kg/mm2.
On trouve aussi souvent l’abréviation allemande V2A pour A2 et V4A pour A4.
Donc, pour un usage marine, privilégier la nuance A4.
A noter que le 17-4PH (AISI 630), qui est l’inox HR de Wichard, ne devrait pas être utilisé à la mer car il y a risque de rupture sans prévenir…
En effet, le 17.4PH est un acier à durcissement structural (PH = precipitation hardening) qui permet de très bonnes caractéristiques mécaniques par traitement thermique mais contient 4 % de cuivre qui accentuent le risque de corrosion par crevasse (couple galvanique local entre les grains).
Deux exemples de rupture par corrosion :
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Manille HR Wichard après 2 ans dans l’eau de mer |
Manille sans marque (chinoise ?) estampillée 316 après un an dans l’eau de mer |
Le document joint permettra d’approfondir la question, mais sa lecture n’est pas absolument nécessaire. |
Les chaînes de mouillage en inox existent couramment dans trois alliages différents :
Le comportement de tenue à la corrosion en ambiance saline chlorée de ces alliages est différent. En particulier, vis-à-vis de la corrosion par piqûre (pitting and crevice corrosion), phénomène potentiellement très dangereux pour une chaîne.
Le risque de piqûre est en effet important au-dessus d’une température appelée dans la littérature CPT (Critical Pitting Temperature) :
L’alliage 304L convient donc bien en Norvège, mais le 316L sera préférable en Méditerranée, voire le 318LN ....
Bien sûr le risque existe surtout pour des mouillages prolongés, et notamment en zone polluée ou eutrophisée, pas de problèmes pour la chaîne dans la baille si on rince la chaîne...
Ceci a amené à des avertissements officiels en Allemagne et explique qu’on puisse trouver, par exemple sur le site SVD, le conseil d’utiliser de la chaîne galvanisée en Méditerranée et en zone tropicale (leur chaîne inox n’est pas en 318LN !).
Pour les lignes d’arbre, un problème se pose au niveau des zones qui sont inaccessibles à l’eau de mer et donc privées d’oxygène, ce qui peut induire de sérieux problèmes de piqûres.
Ces zones sont en particulier la portée de l’hélice et la zone où les patins de la bague hydrolube (palier caoutchouc) appuient sur l’arbre.
Deux exemples de piqûres :
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Corrosion profonde dans la zone de portée de l’hélice |
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Marquage d’un arbre par la bague hydrolube après hivernage à flot |
Une surveillance s’impose car les dégâts peuvent être assez importants pour amener des ruptures d’arbre ou perte d’hélice.
Dans tous les cas, il vaut mieux utiliser du 316L, et pas du 316 ou 304 parfois proposés car moins chers et plus faciles à usiner.
Les alliages à base de nickel type Monel K-500 (qui ne sont pas des aciers) sont insensibles à ce genre de problèmes mais quasi-introuvables…
Pour obtenir une bonne tenue à la corrosion des aciers inoxydables, il convient de prendre certaines précautions lors de la mise en œuvre :
Excellent rappel qui devrait être mis en lumière régulièrement. Notons que les tolérances de fabrications pour les nuances AISI ou ISO font que certaines compositions de l’une viennent mordre sur le appellations voisines de l’autre. Ce qui peut rendre nerveux un expert d’assurance.
Disons aussi que pour une nuance adaptée à l’usage, une simple modification de type d’usinage suffit à créer des problèmes de corrosion. Par exemple, un serre câble ou le cavalier est fileté puis forgé, une selle coulée ou forgée, des rondelles décolletées et des écrous forgés puis filetés. Il peut y avoir également des problémes dus aux masses respectives des pièces.
J’ai vu des rondelles disparaitre en 1.5 mois sur des serre câbles inox de 25mm. Plus de rondelle, donc plus de serrage et le câble se détachait. (Tenue de blocs de protection à la mer). Moralité, virer les rondelles !