LA LUNE II – Les instruments de mesure.
Présentation
- On était donc en mesure de prédire les positions de la Lune pour les temps de Paris. Pour trouver en un lieu ce temps de Paris correspondant à une heure locale donnée, il restait par conséquent à déterminer en ce lieu, par l’observation, la situation de la Lune sur la sphère céleste, mais il fallait un instrument de mesure précis.
De Hooke en 1666 se servant d’un miroir pour ramener la direction d’un objet sur celle d’un autre et permettre de cette manière la mesure d’un angle, au sextant d’ Hadley et de Thomas Godfrey , en passant par l’octant d’Hadley en 1731, on a su mettre au point les moyens techniques de mesure d’angle.
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On était donc en mesure de prédire les positions de la Lune pour les temps de Paris. Pour trouver en un lieu ce temps de Paris correspondant à une heure locale donnée, il restait par conséquent à déterminer en ce lieu, par l’observation, la situation de la Lune sur la sphère céleste.
Le 25 juillet 1708, le Père Feuillée, religieux minime, mathématicien du roi, se trouvant par la latitude nord de 5° et par la longitude du Cap-Vert (il se rendait en Amérique du Sud pour y faire des observations astronomiques, physiques et botaniques), observa, « avec une bonne flaîche », la distance de la Lune à l’ « Epy » de la Vierge. Son calcul lui donna une longitude différant seulement de 48’ de la longitude estimée, concordance heureuse qu’il eut la sagesse de ne pas chercher à retrouver par la suite. Il ne se faisait d’ailleurs aucune illusion sur la valeur d’une telle observation. Elle était très bonne en principe ; mais il fallait un instrument de mesure infiniment plus précis.
On en doit la première forme à Hooke. En août 1666 il mentionna à la Société Royale un « nouvel instrument astronomique pour faire des observations des distances des étoiles fixes à la Lune, par réflexion ». En septembre, on le pria d’en écrire une description. En juillet 1670, la Société Royale examina l’instrument qui était « ainsi conçu que deux objets se rencontrant à l’extrémité d’un style (at the point of a pin) étaient vus en même temps, l’un directement sur un bras de l’instrument muni d’une lunette, l’autre par réflection sur l’autre bras, glissant sur une règle divisée par parties égales ». Ainsi Hooke avait découvert le principe consistant à se servir d’un miroir pour ramener la direction d’un objet sur celle d’un autre et permettre de cette manière la mesure d’un angle par une visée unique le long d’un seul de ses côtés. La figure 41 montre l’instrument d’après les œuvres posthumes de Hooke, dues à Waller.
Celui du deuxième type (fig. 44) ne diffère pas, dans sa disposition générale, du sextant d’aujourd’hui. Pour l’observation de la hauteur du Soleil, l’astre étant par derrière, il y avait un petit miroir spécial “m1”, perpendiculaire au premier, une pinnule P et un réticule R destiné à faciliter l’opération. Les dispositifs proposés eurent tout de suite un grand succès. Non seulement Halley et Bradley poussèrent aussitôt à des essais sur mer, mais encore ils promirent leur collaboration.
Un autre instrument, l’octant de Caleb Smith, fut proposé presque dans le même temps. Nous l’avons représenté ici sous ses différentes formes, en suivant les descriptions qu’en donnent Pézenas et Rochon (fig. 45 et 46). Dans l’une, le petit miroir est remplacé par un prisme dont les angles à la base sont de 68° et l’angle au sommet de 44° par conséquent [1]. Dans l’autre, les deux miroirs sont l’un au-dessus de l’autre, et l’un d’eux, jouant le rôle du petit miroir, n’est pas mobile avec l’alidade.
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Comparons maintenant ces divers instruments.
Il parait, d’autre part, qu’il était nécessaire d’avoir à l’époque de grandes valeurs pour ces angles. En effet, plusieurs témoignages confirment qu’on éprouvait alors de grandes difficultés à construire des miroirs à faces planes et parallèles et on sait que les défectuosités qui en résultent sont surtout apparentes pour les rayons rasants. Par exemple, quelques années après le moment où nous sommes parvenu, de Fouchy essayant de prendre de grandes distances lunaires avec de faibles incidences sur des miroirs plans, aperçut, dit-il, jusqu’à 12 lunes par suite des réflexions qui se reproduisaient sur les deux faces des miroirs. Dès lors l’avantage devait rester à l’instrument qui, pour les observations ordinaires, permettait :
- 1° d’avoir des incidences ne tombant pas au-dessous d’une valeur assez grande ;
- 2° d’observer par devant dans ces conditions ;
- 3° de viser directement à l’horizon ou à un des points sans affaiblir cet horizon par des réflexions.
Or seul l’octant d’Hadley réunissait ces qualités
L’octant de C. Smith fut employé, dit Pézenas, par des capitaines célèbres. Cependant, à Marseille, il n’en avait vu qu’un seul encore en 1755, tandis qu’il y avait déjà vu une cinquantaine d’octants d’Hadley. Il considérait comme un avantage, pour l’octant de C. Smith, la substitution de prismes à des miroirs, et le fait que la rectification et l’observation par derrière y étaient plus commodes qu’avec l’instrument d’Hadley ; et s’il concluait que c’était à l’expérience qu’il appartenait de décider lequel des deux était le plus pratique ; il donnait, semble-t-il, ses préférences à celui de C. Smith. Mais nous pensons que les avantages de celui d’Hadley devaient l’imposer tôt ou tard, ce qui a eu lieu effectivement. Nous ne nous occuperons donc plus du quartier de C. Smith.
A l’origine, l’octant d’Hadley était de grandes dimensions et les octants eurent d’abord 18 à 20 pouces (50 cm.) de rayon.
Les académiciens envoyés au Pérou en 1735 emportèrent un octant d’Hadley, dont ils se servirent à la mer pendant leur voyage ; et Godin, dans une lettre, lui fit quelques objections : on éprouvait des difficultés, disait-il, pour s’assurer qu’on mesurait bien le plus petit arc allant de l’astre à l’horizon, surtout quand cet astre était prés du zénith, et les réflexions affaiblissaient les images ; mais il concluait que l’instrument donnait les hauteurs avec une grande exactitude tout en ajoutant que l’instrument de de Fouchy, muni d’une lunette, donnerait sans doute de meilleurs résultats, ce qui ne pouvait être.
C’est peut-être ce rapport qui amena de Fouchy à entreprendre de nouvelles recherches. A la demande du ministre Maurepas, il travailla en effet, en 1739, à rétablir la lunette. Son nouvel instrument est décrit dans les Mémoires de l’Académie pour 1740. Nous avons vu que l’académicien rejetait les miroirs. Il chercha d’abord à les remplacer par des prismes à petit angle ; mais les images étaient déformées, et il songea enfin, après d’autres essais, à leur substituer des verres sphériques de lunettes. Voici l’instrument auquel il s’arrêta (fig. 50). Le miroir G est une lentille plan-convexe étamée sur sa face plane, de 9,5 pieds (3 m.) de foyer. Il est perpendiculaire à GD quand l’alidade A est sur le milieu O du limbe l. Le système D est composé de deux verres. Celui qui est du côté de G, de 9,5 pieds de foyer également, est étamé en partie seulement. Le second n’est pas étamé et il a 2 pieds 8 pouces (86 cm.) de foyer. D fait un angle de 67°5 avec la direction de l’axe optique et, pour combattre les déformations des images, l’objectif de la lunette est également incliné de 67°5 sur le plan du limbe. Cette lunette grossissait 8 fois ; et, ce qui montre bien que dès cette époque on s’occupait de ces instruments en vue de distances lunaires, de Fouchy fait remarquer qu’on pouvait observer, grâce à ce grossissement, la distance d’une étoile à une des taches de la Lune. Cette combinaison était très bien conçue au point de vue optique ; mais l’instrument, trop ingénieux et délicat, et trop coûteux, ne fut jamais adopté par les marins.
Le premier navigateur français qui parait s’être servi du nouveau quartier de réflexion fut d’Après de Mannevillette, capitaine de la Compagnie des Indes. Il était né au Havre en 1707 et il avait été attaché à ladite compagnie dès l’âge de 12 ans, en 1719, année où il obtint de faire un voyage aux Indes sur le vaisseau le Solide, commandé par son père. Après son retour, il termina d’abord ses études ; puis il reprit la mer et il fit alors plusieurs voyages dans l’Atlantique. En 1732, il embarqua sur la Galatée, destination de Pondichéry, par le canal de Mozambique. Ce voyage décida de sa vocation pour l’hydrographie ; il y forma le projet de corriger les cartes des Indes et commença à s’entourer de documents. En 1736, il retourna en Chine sur le Prince-de-Conti. C’est là qu’il se servit pour la première fois de l’octant d’Hadley ; alors que le voyage postérieur d’Anson (1740) ne fait mention que du « quart de nonante ». Peu après, en 1739, il donnait dans un petit livre la description du nouvel instrument qu’on trouvait à Paris, « Au nouveau quartier anglais », chez Le Maire fils, « qui faisait et vendait toutes sortes d’instruments de mathématiques ». Bory, chef d’escadre et membre de l’Académie des Sciences, publia en 1751 une nouvelle édition de l’opuscule. D’Après avait supprimé le second petit miroir destiné aux observations, le Soleil étant par derrière. On le maintenait pour pouvoir observer quand une terre se trouvait sous l’astre, ou parce que l’horizon est souvent meilleur à l’opposé du Soleil que dans le même azimut que lui ; enfin parce qu’il permettait de mesurer des angles voisins de 180°. Mais ce genre d’observation avait des inconvénients : « les rayons tombaient alors trop obliquement sur le petit miroir approprié » et la proximité de la pinnule ajoutait des difficultés à l’observation ; enfin la mesure de l’erreur instrumentale dépendait alors de la dépression de l’horizon, ce qui en rendait la détermination incertaine. On mesurait alors en effet l’angle formé par deux points de l’horizon à 180° de distance azimutale. Bory recommandait un grand miroir de métal, « les miroirs de glace étant sujets à renvoyer plusieurs images d’un même objet ». L’instrument ne comportait ni lunette, ni verres colorés derrière le petit miroir. Parmi ses avantages spéciaux, il comptait la possibilité d’observer par temps couvert, dès qu’il y avait assez de lumière pour que le Soleil pût former image tandis qu’avec l’arbalestrille, le Soleil devait porter ombre. L’instrument était si précis, ajoutait Bory, qu’on devait « avoir égard aux réfractions ». Il y avait dans le petit ouvrage une table des dépressions de l’horizon et d’Après y avait joint les déclinaisons de six étoiles principales : La Chèvre, Sirius, Procyon, Arcturus, les « luisantes » de la Lyre et de l’Aigle, c’est-à-dire Véga et Altair. Pour la Lune, Bory recommandait de prendre la hauteur de son centre, car la Connaissance des Temps ne donnait pas son demi-diamètre, pas plus que sa parallaxe d’ailleurs. En outre, il déclarait qu’il était bon de rétablir l’observation par derrière parce qu’elle complétait bien l’observation par devant.
D’Après n’oubliait pas la longitude. En 1749 il reçut le commandement du Chevalier-Marin à destination du Sénégal et il essaya sur ce navire de prendre des distances lunaires ; mais les miroirs de son octant n’étaient pas plans et sa graduation était défectueuse. Seulement, bientôt après il eut à commander le Glorieux ; sur lequel il devait emmener La Caille au Cap. Lui-même était chargé d’une mission hydrographique aux îles de France et Bourbon et sur les côtes sud-est de l’Afrique. Il fit faire à alors Londres, par Morgan, l’octant de réflexion qu’il devait emporter dans cette célèbre campagne pendant laquelle la longitude par la Lune reçut, comme nous le verrons, une impulsion décisive. Ils partirent le 21 novembre 1750.
La lunette n’avait pas reparu sur l’octant. La Caille, dans un mémoire composé au cours de ce voyage, rédigea un projet destiné à la rétablir. Il proposait un objectif de 29 à 30 lignes (6cm,5) de diamètre, de 10 pouces (27 cm.) de distance focale ; un oculaire de 3,5 à 4 pouces (8 à 9 cm.) de foyer. Le tuyau, pour être léger, serait fait en bois recouvert de peau de chagrin ou de roussette. Le champ, de 10°, devait être sans iris ni franges et le grossissement de 2,5 à 3. Mais la lunette ne fut sans doute pas encore réinstallée d’une manière courante. En effet, Courtanvaux, en 1767, raconte qu’étant à Dunkerque, il vit sur un bâtiment marchand anglais un octant qui portait sous le petit miroir un niveau à « boule » d’air disposé de manière qu’une image de la bulle formée au foyer d’une petite loupe placée entre le niveau et le petit miroir, se fît au centre de ce petit miroir quand la ligne de visée directe était horizontale [2]. Il voulut faire venir un de ces instruments d’Angleterre ; or, dit-il, « il était encore plus ingénieux, car les Anglais avaient adapté une lunette à la place de la pinnule ». Et nous avons aussi un texte de Fleurieu qui témoigne dans le même sens. Quand il parle des hauteurs correspondantes qu’il prit du bord à la Praya et à Angra, il dit qu’il les observa avec son octant « qui n’était qu’à pinnule » et c’était en 1768 et 1769. En 1781 enfin, Savérien, dans son Dictionnaire, écrit qu’il n’a jamais vu d’octant avec une lunette. Toutefois il en est fait mention dans la Dissertation sur l’observation de la longitude du chevalier de La Coudraye, ancien lieutenant des vaisseaux du roi, qui dit qu’en 1763 on l’avait déjà appliquée à l’octant devenu le sextant. De même le Nautical Almanac de 1767, calculé en vue des distances lunaires, prescrivait l’emploi d’un instrument muni d’un petit télescope grossissant 3 ou 4 fois. Il ajoutait que le vernier devait être accompagné d’une loupe grossissant de 1,5 à 2 fois. Ainsi les perfectionnements de l’instrument, l’extension du limbe à 120°en particulier, étaient dictés par le souci de la longitude. On revenait à ses origines.
En 1775, un certain Magellan, apparenté par ses ancêtres, si on l’en croit, au grand navigateur et qui nous a laissé, à cette date, le traité le plus complet qui ait existé dans tout le XVIIIe siècle sur les « octants et sextants anglais », dit qu’on y employait des pinnules simples ou à tube ou à lunette. Celle-ci grossissait 4 ou 5 fois. Elle avait un objectif achromatique à deux verres, un champ de 7 à 9° et un réticule formé par trois fils qui divisaient ce champ par parties égales. Terminons par Rossel qui écrivait en 1814 que tous les sextants avaient alors des lunettes.
A l’époque de Magellan le corps de l’instrument était quelquefois en cuivre et on trouvait des alidades munies d’une vis de rappel. Quant aux miroirs, ils étaient de verre ; les miroirs métalliques avaient été abandonnés quelques années auparavant. Ces miroirs enfin, étaient, en principe, montés comme aujourd’hui ; et il y avait deux petits miroirs, qu’on appelait alors miroirs horizontaux, parce que quand on prenait hauteur, ils étaient sur la ligne allant de l’œil à l’horizon.
La seule rectification qu’on paraissait effectuer à l’origine consistait dans la mesure de l’erreur instrumentale, opération qu’on désignait par l’expression « faire l’ajustement ». Plus tard on se préoccupa de rendre les miroirs perpendiculaires au plan du limbe. Magellan dit qu’on s’assura d’abord de la perpendicularité du grand miroir en employant deux petites équerres dont l’une était percée d’un trou, tandis que l’autre était munie d’une coulisse pouvant se déplacer verticalement et portant un fil horizontal tendu dans une fente. On mettait le fil à la hauteur du trou ; puis on faisait sortir l’alidade du limbe, pour pouvoir placer l’équerre à coulisse devant le miroir ; la seconde était posée sur le limbe, et, en regardant par le trou de celle-ci, on devait voir l’image de ce trou coupée par le fil. En faisant alors tourner l’alidade, on s’assurait également que son axe était bien perpendiculaire au plan du limbe. Borda simplifia ce procédé un peu compliqué. Il adopta des équerres plus simples qui ne différaient des viseurs actuels qu’en ce que les bases en étaient circulaires, et il donna la méthode de rectification qu’on n’a pas cessé d’employer depuis.
Une autre erreur, dont on se préoccupait à plus juste titre, était celle qui provenait de la prismaticité du grand miroir. Bezout la signale en 1769 à l’attention de l’Académie de Marine et on en trouve l’évaluation dans son cours de navigation. Une table des corrections qu’elle rend nécessaires fut jointe à la relation du voyage de la Flore, et Borda la reproduisit dans ses traités relatifs au cercle de réflexion en la complétant de manière à la rendre utilisable dans tous les cas d’observations avec cet instrument. Dans le but de s’affranchir de cette erreur Maskelyine avait proposé de rendre rugueuse et de noircir la moitié supérieure de la face étamée du grand miroir. On aurait alors observé les astres brillants par réflexion sur la face antérieure de cette partie.
Le sextant est un instrument précieux en ce que les erreurs provenant d’une rectification imparfaite sont du second ordre de petitesse par rapport aux inégalités qui les causent. Celle qui est due à la prismaticité du grand miroir est au contraire du premier ordre ; mais la plus redoutable provient sans contredit des erreurs d’excentricité et des imperfections de la graduation. Le grand rayon des instruments primitifs les atténuait sans les faire disparaître. D’Après, par des distances d’étoiles, dressa une table des erreurs de division de son instrument de 1750. Nous la reproduisons ici :
Il disait du reste qu’il était rare d’avoir un instrument exact à 2 et 3’ quand on ne l’avait pas étudié comme il l’avait fait. Cassini, sur l’Enjouée, pense que l’octant à lunette donnait les hauteurs à 2 ou 3’ près. Chabert, en 1759, prétendait les obtenir à 1’ près avec son octant muni d’une lunette. Godin enfin, évaluait à 15 ou 20 secondes l’erreur sur l’angle horaire calculé par une hauteur prise à la mer avec l’octant, erreur qui était réduite de moitié si on prenait des hauteurs correspondantes. Mais il est probable que les évaluations qui précédent donnent une trop bonne idée de la valeur des instruments de l’époque lorsqu’ils étaient entre des mains quelconques.
Signalons encore une erreur singulière que nous ne savons à quoi attribuer. Goimpy et Fleurieu, pourtant compétents, croyaient, par leur expérience, que la pinnule dilatait le disque du Soleil jusqu’à lui donner une valeur de 40’ [3].
Les perfectionnements successifs qu’on cherchait à apporter à l’instrument furent parfois accompagnés de tentatives peu heureuses.
Un instrument à réflexion plus parfait que le sextant fit son apparition vers le milieu du siècle. Il dépouillait la mesure de l’effet des erreurs de division. L’idée de répéter les angles, afin de réduire ces erreurs à une quantité très petite, est généralement attribuée à Tobie Mayer. Il est juste cependant de reconnaitre que Rœmer, dès 1700, pensait qu’il fallait substituer à l’ancien quart de cercle un cercle entier. En tous cas, Mayer fit connaître, en 1752, le principe de la répétition des angles. Travaillant à des levés topographiques en Allemagne, il effectuait cette répétition avec une planchette munie de deux règles, en évaluant les angles au moyen d’un compas et d’une table des cordes. C’était là son multiplicateur pour la géodésie. En 1755, d’après Lévêque et Borda, il envoya au Bureau des Longitudes un dessin de son cercle de réflexion destiné à la marine.
Les commissaires firent exécuter l’instrument par Bird et les capitaines Campbell et John Bradley furent chargés de le comparer sur mer à l’octant de Hadley. Des mesures faites sur le Royal-George, en 1757, 1758 et 1759, en vue du cap Finisterre et d’Ouessant, donnèrent des résultats qu’on trouva très bons.
A cet effet il employait un vernier fixé à un cercle tournant autour du centre du limbe, et ce vernier pouvait être lié par des vis de pression à chacune des deux alidades, de manière à en recevoir le mouvement. Chaque alidade avait donc deux vis de pression, l’une pour l’attacher au cercle porte-vernier, l’autre pour la fixer au cercle divisé. Ce dispositif avait l’inconvénient de compliquer l’instrument et d’être sujet des erreurs dues aux glissements qui pouvaient se produire entre les alidades et le cercle du vernier. D’ailleurs, en prenant la moyenne entre les résultats que donnaient les deux alidades du cercle de Borda, chacune munie d’un vernier, on aurait très probablement une exactitude comparable à celle de la méthode de Mendoza. Ce dernier fut très bien inspiré par contre en imaginant un dispositif de calage pour avoir tout de suite les deux objets dans le champ. Il consiste en un petit cercle de cuivre gradué et attaché par ses deux extrémités à l’alidade portant le petit miroir. Sur ce cercle glissent deux pièces de cuivre qui, maintenues par des ressorts, forment des butées permettant d’obtenir le but cherché. Deux cercles de Mendoza furent mis en essai à Brest en 1892 par les soins du préfet maritime qui chargea le capitaine Maingon de les essayer.
D’autres formes de cercle de réflexion ont été tentées. Jecker en a construit un qui portait deux alidades dont la longueur était égale à celle du rayon du cercle. L’une portait, au centre de rotation, un grand miroir métallique, poli sur ses deux faces et orienté suivant son axe. A la seconde étaient liés deux petits miroirs identiques dont les plans non étamés étaient en face l’un de l’autre. Ils étaient installés symétriquement de part et d’autre de l’axe de cette seconde alidade dont ils se trouvaient très rapprochés puisque leur distance n’était pas deux fois plus grande que sa largeur. Ils étaient également rapprochés du centre du cercle et placés entre le grand miroir et l’objectif de la lunette. Celle-ci était portée aussi par l’alidade des petits miroirs ; elle était articulée du côté de l’objectif et pouvait être bloquée du côté de l’oculaire aux deux extrémités d’un petit secteur, de manière à être pointée dans chaque position sur le centre de l’un ou de l’autre petit miroir.
On essaya un autre instrument, dérivé de l’héliomètre de Bouguer et destiné à mesurer avec une grande précision les distances de la Lune à des étoiles rapprochées. Bouguer, en 1748, avait déjà proposé d’étendre le champ de l’héliomètre pour appliquer cet instrument à l’observation de distances lunaires et La Caille a eu entre les mains un héliomètre pouvant mesurer des angles de 3 à 4°.
Un lieutenant des vaisseaux du roi : de Charnières, devait poursuivre ces études. Il fut, à ses débuts, guidé et stimulé par le « pilotin Véron » qui, en 1765, avait pris du service dans la marine militaire, après avoir suivi au Collège Royal le cours d’astronomie qui y était professé par Lalande depuis 1761. Charnières décrivit son « mégamètre » dans un mémoire du 11 novembre 1766 ou seulement de 1767, car ses autres ouvrages nous laissent dans le doute là-dessus.
Il reprochait à l’octant son peu d’exactitude, défaut dû surtout, d’après lui, à la prismaticité du grand miroir, dont il évalue d’ailleurs les effets par de trop grandes valeurs. En 1772 il fit paraître un ouvrage détaillé sur son instrument et sur son usage. Il était construit par Carochez et coûtait 330 livres.
Dans un premier modèle (fig. 55) les demi-objectifs, dus à Dollond, se déplaçaient sur un plan ; mais, après quelques recherches qui lui furent assez difficiles, il parvint à découvrir le moyen de les déplacer sur des arcs de cercle ayant leur centre à leur foyer commun. Leur diamètre était de 15 lignes (34 mm.) et leur distance focale de 40 pouces (208 cm.). On pouvait déplacer légèrement l’une des demi-lentilles dans sa monture, afin de pouvoir l’ajuster sur l’autre de manière à réunir leurs deux images en une seule. Une vis à pas inverse, munie par une molette située prés de l’oculaire avec tige extérieure et engrenage à angle droit à côté des objectifs, permettait le rapprochement ou l’éloignement des verres. Le grossissement était de 52 et le champ de 1°3. Enfin la lecture se faisait au moyen d’un vernier qui donnait la seconde d’arc sur une vis micrométrique dont les divisions étaient de 4"8. On pouvait mesurer des arcs de 10 à 12° au maximum. Le système optique était enveloppé d’une boite en bois à sections rectangulaires, et, comme L’appareil était lourd, Charnières, pour le supporter, avait construit un pied à mouvements très libres. La valeur des divisions de la vis était aisément déterminée par la mesure d’un angle connu.
Le 25 octobre 1767 Charnières avait observé dans ce dessein, la distance de α et β du Petit-Chien au moment où ces étoiles étaient dans le même azimut. Le 5 septembre 1769, aidé par Jeaurat, il plaça dans le même but des mires sur le Champ-de-Mars, en face de la porte du vestibule de l’École Militaire. Les mires, appuyées contre la banquette du Champ-de-Mars, parallèlement à la Seine, sous-tendaient un angle de 8° à la distance de 469 toises 5 pieds (930 mètres environ). Son mémoire de 1766 ou 67 ayant été bien accueilli, Charnières demanda au ministre Praslin à embarquer sur un bâtiment allant aux Antilles, afin d’essayer son appareil. Il avait alors fait construire trois mégamètres : un pour l’Académie, un deuxième pour Courtanvaux et le troisième pour lui. Chappe en avait fait construire un quatrième. Il partit le 11 octobre 1767 de la rivière de Nantes, sur la Sensible, à destination de la Guadeloupe. Il pouvait observer des étoiles de la 3e à 4e grandeur jusqu’à 1° de la pleine Lune. Mais il n’observa pas beaucoup, surtout au retour où il fut malade. Nous ne signalerons que trois observations à la mer, les 27 octobre, 6 et 7 novembre. La première entre la Lune et λ Sagittaire à 1°20’ ; la deuxième entre la Lune et η des Pléiades à 1°16’ et la troisième entre la Lune et β Taureau à 6°. L’atterrissage n’eut lieu que le 10, mais ce qu’il fallait surtout prouver, c’était la possibilité de l’emploi de l’instrument à la mer par temps maniable ; et il parut assez commode. Le 4 août 1767, Messier, sur l’Aurore, prit la distance de la Lune au Cœur du Scorpion. Il trouva que les mouvements du navire rendaient l’observation difficile ; mais Charnières, plus tard, améliora le pied. L’observation, comparée à une correspondante de Lemonnier, montra que la distance avait été observée à 38" prés.
Pendant le voyage de Verdun, l’astronome Mersais se servit beaucoup du mégamètre et il put le faire « avec assez de facilité, dit-il, même par mer médiocrement agitée ». Mais le rapport de la Commission ne fut pas en faveur de l’instrument. Le mégamètre, y disait-on, ne permet de prendre que de petites distances et de nuit seulement, et il n’y avait pas toujours d’étoiles brillantes et bien placées. D’autre part, l’angle horaire correspondant à une observation avec cet instrument ne pouvait être calculé que par une hauteur d’étoile, élément plus incertain qu’une hauteur de Soleil. Enfin, si ou pouvait mesurer au mégamètre les distances avec une approximation deux fois supérieure à celle d’une mesure au sextant, à 15« au lieu de 30 », cet avantage était plus que détruit par les erreurs inhérentes, surtout alors, à la réduction des petites distances. L’erreur sur la latitude de la Lune en particulier ne donnait aucune erreur sur le calcul des grandes distances, tandis qu’elle pouvait en causer une très forte sur celui des petites. En fin de compte, le résultat de l’observation au mégamètre pouvait être deux fois plus erroné que celui qu’on obtenait avec l’octant. Ajoutons que si l’on se bornait au cas favorable où l’astre est situé sur la direction de la route de la Lune dans le ciel, il pouvait y avoir des lunaisons entières sans qu’on trouvât une seule occasion de se servir du mégamètre.
Rochon s’était aussi exercé dans le même sens que Charnières, et comme il était quelquefois de méchante humeur, il chercha à se faire attribuer l’idée de l’instrument de ce dernier. Il prétendait avoir écrit en 1766 un mémoire contenant les principes des instruments à réfraction pour la mesure des angles et, en particulier, ce qui a rapport aux mégamètres. Il consulta même Borda sur l’opportunité qu’il y aurait pour lui à soulever la question de priorité. Mais Borda lui répondit de n’en rien faire, l’idée qu’il revendiquait pouvant être venue à plusieurs à la fois. Les instruments qu’il imagina, et qu’il parait du reste n’avoir jamais fait construire, étaient en général très différents de celui de Charnières. En 1767, il proposa de placer des prismes de verre de France au-devant de l’objectif de l’héliomètre de Bouguer. En les faisant tourner sur eux-mêmes ils permettaient de mesurer des angles de 0 à 20°. Il pensa aussi, dit-il, à la disposition de Charnières mais il calcula que pour une distance focale de 3 pieds (0m,97), on ne pouvait dépasser alors des angles de 9°36’, ce qui lui parut insuffisant. Enfin il fit remarquer qu’en plaçant devant l’un des objectifs de l’héliomètre des prismes donnant des déviations de 6, 12, 18°, on pouvait construire un mégamètre d’emploi plus étendu que celui de Charnières, le contact des images déviées y étant achevé par le déplacement des lentilles formant les demi-objectifs. Il décrivit encore un « astromètre » qui n’était que le quart de cercle ordinaire à deux lunettes (celui dont se servait Chabert, en 1750, en Acadie, pour prendre des distances lunaires à terre), dans lequel on renversait les lunettes de manière à mettre les oculaires au centre de l’arc, au lieu de les mettre du côté du limbe et inversement pour les objectifs. En plaçant un œil à chaque oculaire, on pourrait, disait-il, observer les deux astres à la fois. Mais ce n’étaient là que de pures indications et toutes ces propositions étaient insuffisamment étudiées.